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AU SERVICE DU DIABLE (1971)

 


Titre français : Au Service du Diable
Titre original : La plus Longue Nuit du Diable
Titre alternatif : La Nuit des Pétrifiés / Le Château du Vice
Réalisateur : Jean Brismée
Scénariste : Jean Brismée, Pierre-Claude Garnier
Musique : Alessandro Alessandroni
Année : 1971
Pays : Belgique, Italie
Genre : Diable et démons
Interdiction : -12 ans
Avec : Erika Blanc, Jean Servais, Jacques Monseau, Ivana Novak, Lorenzon Terzon...


L'HISTOIRE : En 1945, le Baron von Rhoneberg est témoin de la naissance de sa petite fille, laissant sa femme morte en couches. Afin de conjurer une malédiction antique qui dit que chaque descendante de la famille von Rhoneberg deviendra une succube, il poignarde son enfant. Quelques 25 ans plus tard, les sept occupants d'un car demande l'asile au Baron von Rhoneberg, qui accepte de les héberger dans son château. Une huitième personne, Hilse Muller, s'invite à la nuit tombée. Une nuit qui va s'avérer pleine de dangers pour les invités...


MON AVISProduction Belgo-italienne, Au Service du Diable est l'unique réalisation de Jean Brismée, ancien professeur de mathématiques et de physiques et auteur de plusieurs courts métrages didactiques. Bénéficiant d'un budget assez dérisoire et sans expérience dans le domaine du long métrage, Jean Brismée va pourtant mettre tout en oeuvre pour faire du mieux qu'il peut et offrir au public un film respectueux du genre. 

Flirtant ouvertement avec le fantastique et l'épouvante, Au Service du Diable nous évoque le cinéma de Jean Rollin ou de Jess Franco, avec un rythme qui prend son temps, une bonne utilisation des décors, une atmosphère fantastico-poétique assez réussie, une petite touche d'érotisme bienvenue (jolie scène lesbienne entre deux très belles actrices, la blonde Shirley Corrigan et la brune Ivana Novak) et un casting bien en place qui évolue dans une atmosphère inquiétante et lugubre. 

Cerise sur le gâteau, la présence d'une actrice culte du cinéma Bis, Erika Blanc, dans le rôle de la succube ! La belle italienne augmente le potentiel érotique du film avec des tenues ultra sexy mais jamais vulgaires, qui ne dévoilent rien de ses charmes mais laissent l'imagination du spectateur prendre la relève. La grande originalité du film est qu'une fois Erika Blanc en chasse, ses victimes vont mourir selon les sept péchés capitaux, une idée qui sera reprise des années plus tard par David Fincher pour Seven ! Gourmandise, avarice, envie, paresse etc, tout y passe, avec plus ou moins de réussite mais tout de même, c'est vraiment l'un des points forts du film, avec son casting hétéroclite, allant du Belge Jean Servais au Français Lucien Raimbourg, en passant par le Chilien Daniel Emilfork, acteur au physique étonnant et qui interprète avec une élégance raffinée le Diable lui-même, dans une prestation qu'on n'oubliera pas, de par son visage si particulier et qui ne nécessite aucun maquillage. 

Du maquillage, Erika Blanc va en porter par contre, sublimant sa beauté naturelle ou la transformant en effroyable succube au teint blafard, le jeu de lumière du directeur de la photographie achevant de la rendre soit désirable, soit effrayante. Les différentes morts proposées seront assez soft niveau violence mais on aura tout de même droit à une décapitation à la guillotine ou à un corps transpercé par les piques d'une Vierge de Fer, célèbre élément de torture moyenâgeux, entre autres. 

Hormis l'utilisation des péchés capitaux, il est vrai qu'on ne peut pas vraiment dire que le scénario d'Au Service du Diable soit innovant ou très original, car on a tous les clichés du genre au menu : les touristes qui doivent bifurquer de leur route et atterrissent dans un château peu engageant ; un majordome au faciès peu rassurant et qui aime à raconter les drames sordides qui ont eu lieu dans les chambres de ses hôtes / les jeunes filles déambulant dans les couloirs du château dans des tenues vaporeuses / l'arrivée d'une femme dont on sait très bien qui elle est réellement et j'en passe. 

Il n'en reste que Jean Brismée, totalement novice dans le cinéma de genre, a su jouer de ces clichés, proposant au spectateur un voyage atmosphérique de qualité, servi par une belle mise en scène, que la musique adéquate composée par Alessandro Alessandroni vient rehausser. 

Cette proposition de cinéma gothique belgo-italien a de quoi séduire les amateurs, curieux de découvrir des films autres que ceux en provenance de l'Angleterre, de l'Italie ou de l'Espagne. La scène finale viendra clôturer Au Service du Diable sur une note bien jouissive et amusante, je vous laisse la surprise ! N'ayant pas connu un réel succès à l'époque de sa sortie, le film connût plusieurs carrières sous différents titres, dont Le Château du Vice, Pétrification ou La Nuit des Pétrifiés.  




Stéphane ERBISTI

AMER (2009)

 

Titre français : Amer
Titre original : Amer
Réalisateur : Hélène Cattet, Bruno Forzani
Scénariste : Hélène Cattet, Bruno Forzani
Musique Divers
Année : 2009
Pays : France, Belgique
Genre : Giallo
Interdiction : -16 ans
Avec Marie Bos, Delphine Brual, Harry Cleven, Cassandra Forêt...


L'HISTOIRE Trois actes, trois âges, une personne : Ana. Petite, elle évolue dans un climat morbide et sulfureux qui bouleversera à jamais sa vie. Adolescente, le monde extérieur et ses désirs s'offrent à elle. Adulte, elle revient dans sa maison natale. Mais un tueur rôde...


MON AVISDans la course au cinéma référentiel, Amer est sans aucun doute le spécimen le plus excitant jamais porté sur un écran français. Mieux encore, ce ne sont plus les références habituelles dont on nous abreuve (le survival avant toute chose) dont il est question, mais un regard passionné sur un sous-genre purement européen : le giallo. De la fraîcheur, des soupirs... et des vertiges.

Voilà des années que le duo Cattet / Forzani rend hommage aux pervers gantés de noir et adeptes du coupe-chou à travers de nombreux courts-métrages expérimentaux aux titres évocateurs : Chambre Jaune, Santos Palace, La fin de notre amour ou encore L'étrange portrait de la femme en jaune. Expérimental... le mot est lâché ! Car si certains pensaient trouver en Amer un simple thriller nostalgique émaillé de meurtres sanglants, beaucoup vont déchanter... Il vaut mieux se tourner davantage vers des délires cinématographiques plus abstraits, piochant du côté de réalisateurs comme Buñuel, Franco ou Argento pour mieux capter toute la singularité de l'objet. Les détracteurs de ce courant et les spectateurs lambda (c'est à dire, pas mal de monde) auront vite fait de lâcher prise.

Car il faudra bel et bien souligner le problème majeur de l'œuvre : en se faisant plaisir, Cattet & Forzani se mettent à dos une partie importante du public, plus assoiffée de sang neuf que de déambulation tordue. La réception au festival de Gérardmer fut alors fidèle au titre du film : amère... Par bonheur, ceux qui se laisseront prendre par la main franchiront une porte vers un monde interdit, baroque et d'une sensualité exacerbée.

Amer se découpe alors en trois courts distincts, plus semblables dans leurs thèmes que dans leurs situations : les dialogues sont réduits à leur strict minimum (le film aurait même pu rester muet) et le scénario fait profil bas pour laisser une place conséquente à l'image et au son, envahissants aussi bien l'un que l'autre.

Dès le générique martelé d'une musique empruntée à Bruno Nicolaï (comme tout le reste du score, comprenant du Morricone et du Cipriani entre autre) et morcelé en tant de points de vue différents, on frôle l'extase. Car ce que certains qualifieront de clippesque (= déblayer le contenu pour se focaliser sur la forme) reste tout de même d'une maestria jamais vue dans l'Hexagone : grain d'époque, importance des couleurs, gros plans obsédants, images fulgurantes...

De simples gestes raisonnent comme des menaces, des actes se retrouvent amplifiés jusqu'au tournis et l'on perd pied sans prévenir. Ces mosaïques de la terreur poussent à leur paroxysme la liberté formelle d'un Inferno, plus préoccupé par ses tableaux horrifiques et ses meurtres filmés comme tant de rituels barbares et nécessaires que par son histoire plutôt vaine, jusqu'à se heurter à une certaine incohérence. Le principe ici, est le même.

La demeure traversant Amer fait office de personnage à part entière, véritable antre des ombres qu'on croirait arrachée aux Frissons de l'angoisse. Dans le premier segment, la petite Ana y croisera, le temps d'une nuit, les silhouettes d'Eros et Thanatos dans un fracas d'épouvante évoquant le Bava des Trois visages de la peur, avec son spectre flétri et cette bonne sournoise filmée comme une des trois mères. Le cinéma gothique s'élance à la gorge d'un cinéma plus fou encore, avec une séquence digne du Clouzot des sixties (remember les trips de L'enfer ou de La Prisonnière). Saisissant.

Délaissant l'horreur, le second segment fait clairement office de pause, renvoi (involontaire ?) à un cinéma italien plus léger, mais tout aussi sulfureux. Une manière d'érotiser une bonne fois pour toute l'héroïne (incarnée par le sosie de Béatrice Dalle jeune !) et d'ancrer le métrage dans une atmosphère profondément méditerranéenne, à la fois solaire et inquiétante, révélatrice de désirs et de pulsions.

Le clou final dérive définitivement avec délice vers l'imagerie dont il s'abreuve, dans un portrait de femme prête à se noyer dans ses propres fantasmes (au sens propre comme au figuré), où le spectateur se retrouve à nouveau à ne plus distinguer réalité et fantasmagorie. Tout comme dans Chambre Jaune, le meurtre giallesque se réclame à la fois du fantasme du fétichisme et de l'inconnu, et de l'extase mortelle, laissant le temps de faire couler le sang et les larmes dans une séquence de mise à mort hallucinante, entre la crudité gore de L'éventreur de New-York et la grâce sauvage de Suspiria.

Empruntant la voie d'un cinéma sensitif inauguré par Gaspar Noé et sa compagne Lucile Hadzihalilovic, Bruno Forzani et Hélène Cattet risquent de faire tourner les têtes dans leur sillage. On peut en être fier...




Jérémie MARCHETTI

ALLELUIA (2014)

 

Titre français : Alleluia
Titre original : Alleluia
Réalisateur : Fabrice du Welz
Scénariste Fabrice du Welz, Vincent Tavier
Musique Vincent Cahay
Année : 2014
Pays : France, Belgique
Genre : Tueurs fous
Interdiction : -12 ans
Avec Stéphane Bissot, Lola Dueñas, Édith Le Merdy, Anne-Marie Loop, Héléna Noguerra...


L'HISTOIRE : Michel, un quadra un peu paumé, mais diablement séduisant assure sa subsistance en mettant la main sur les économies de femmes qui tombent sous son charme. C’est un prédateur. Au mieux, il les dépouille. Au pire, il les trucide et s’en va avec l’argent. Lorsque sa route croise celle de Gloria, c’est le choc. La flamboyante Ibère, qui a perdu ses marques au fil d’une existence triste, tombe raide dingue amoureuse de ce beau passant qu’elle ne va plus lâcher. Commence alors une incroyable odyssée sanglante où les deux amants qui se présentent comme une fratrie vont s’enfoncer dans la folie furieuse...


MON AVISMauvais cauchemar sans fin, croisement improbable et tordu entre Massacre à la Tronçonneuse, l'émission Strip Tease et le magazine Fluide Glacial, Calvaire avait été une sacré surprise en son temps, révélant un auteur mordant, esthète dérangé et incommodant. Si Vinyan semblait être un détour (tout aussi marquant par ailleurs), c'était sans doute pour mieux retrouver les terres déjà foulées dans Calvaire. L'histoire a beau déjà avoir été raconté plus d'une fois au cinéma, la verve de Fabrice du Welz se charge de remettre les pendules à l'heure.

Et cette histoire (vraie), c'est celle des honeymoon killers Raymond Fernandez et Martha Beck, qui avaient ensorcelé le cinéma de la fin des sixties avec une oeuvre rugueuse et cruelle qu'on devait à Leonard Kastle. À l'origine, il y avait ce fait divers sordide liant un escroc et une mère mal dans sa peau, qui arnaquaient les femmes seules pour ensuite les assassiner. Et pas toujours dans le bon ordre. En 96, Arthur Ripstein en offrait le versant mexicain et (très) romantique avec un Carmin Profond parfois hanté par le spectre de Bunuel. À sa manière, Alleluia semble réconcilier les deux approches en un chant malade et amoureux.

Chez du Welz, on change d'époque et de noms : Gloria est une mère seule, plutôt timide, qui se voit pousser à prendre un rendez-vous galant par le biais d'un site de rencontre. Elle fait la connaissance de Michel, un vendeur de chaussures mûre et séduisant, qui lui redonne goût à la vie. Mais après avoir emprunté de l'argent, Michel disparaît et ne revient plus. Quand l'amante esseulée le retrouve, elle découvre qu'il séduit des femmes pour ensuite les dépouiller sous des prétextes fallacieux : elle ne démord pas et lui demande de l'assister dans sa tâche immorale. Mais le syndrome de l'amour va révéler une autre facette de Gloria...

Une poignée de chapitres regroupe toutes les victimes féminines du métrage, Gloria incluse : Alléluia est un conte poisseux et dégénéré comme l'était Calvaire, prolongeant ce que du Welz a nommé sa trilogie des Ardennes. Dans cette banalité déconcertante tirant vers le grotesque, dans la bizarrerie assumée et l’apprêté, Alleluia retrouve la liberté et l'âme d'un certain cinéma européen (pour ne pas dire français) des 70's, celui dont on savourait les virages brutales, les maladresses et les vices.

Dévorées du début à la fin par une pellicule granuleuse et expressionniste, les deux têtes d'affiche y sont pour beaucoup dans l'entreprise, deux choix risqués alors, mais éloquents : Laurent Lucas d'abord (de plus en plus rare d'ailleurs), dont on avait oublié la nature inquiétante, ici pleinement explorée par du Welz. À total contre emploi de son rôle de Tintin martyr dans Calvaire, il brille dans les ténèbres, séducteur pervers au sourire de démon, sorcier du dimanche aux intentions impénétrables. De l'autre côté, la almodovardienne Lola Duenas, ogresse frustrée qui se consume d'amour et de jalousie, s'offre dans la folie la plus complète, tour à tour rayonnante et bouillonnante. Et on ne l'avait jamais vu comme ça.

D'une escapade d'amants criminels se voulant linéaire, Fabrice du Welz en tire une nouvelle vision déglinguée de l'amour (comme c'était le cas dans Calvaire et Vinyan) mêlant frontalité et humour noir, toujours dans cette frontière entre le rire jaune et le malaise le plus total (les scènes de sexe pas piquées des vers), le tout traversé de choix inattendus allant d'une séquence de transe hallucinante et onirique, à l'irruption d'une scène musicale débouchant sur du gore craspec. Il y a un gout de la provocation (jamais gratuite) qui stimule et bouscule, toujours à deux doigts du rejet. Quelque chose de l'ordre de l’obscénité et de la fureur. Quelque chose qu'on croyait avoir perdu dans le cinéma de genre francophone : Alleluia ? Oui, Alleluia !




Jérémie MARCHETTI