Affichage des articles dont le libellé est Mario Bava. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Mario Bava. Afficher tous les articles

LA BAIE SANGLANTE (1971)

 

Titre français : La Baie Sanglante
Titre original : Reazione a Catena
Réalisateur : Mario Bava
Scénariste : Mario Bava, Filippo Ottoni, Giuseppe Zacchariello
Musique Stelvio Cipriano
Année : 1971
Pays : Italie
Genre : Slasher
Interdiction : -16 ans
Avec : Claudine Auger, Luigi Pistilli, Claudio Camaso, Anna Maria Rossati, Léopoldo Trieste…


L'HISTOIRE : Une vieille comtesse est pendue par son mari qui déguise le meurtre en suicide. Il est à son tour assassiné par un tueur mystérieux qui fait disparaître le corps. Peu de temps après, quatre jeunes gens s'arrêtent dans la demeure abandonnée pour y passer un peu de bon temps. Ils vont rapidement connaître des fins sanglantes, tandis que le mystère s'épaissit. Quelqu'un cherche à se débarrasser de toute personne ayant une relation de près ou de loin avec la demeure de la comtesse située dans une baie idyllique...


MON AVISLe film démarre fort avec ces deux meurtres successifs filmés de façon magistrale par un Mario Bava ayant posé les jalons du genre giallo en 1964 avec La Fille qui en savait Trop et en 1966 avec Six Femmes pour l'Assassin et qui pose ici, avec La Baie Sanglante, les bases du genre slasher ! Il est fort ce Mario Bava Le spectateur a droit à toute la souffrance de la victime en gros plan, tandis que le meurtrier n'est révélé que par quelques détails corporels, comme ses chaussures polies ou ses mains gantées de noir. Et juste au moment où nous voyons son visage, il se fait lui-même larder de coups de couteaux brillants. Une introduction des plus efficaces, servie par une mise en scène impeccable dans un décor baroque aux couleurs riches et profondes, donnant un aspect velouté aux images (tiens, voilà Dario Argento venu jeter un petit coup d'œil).

Avec ce film datant de 1971, il ne fait aucun doute que Bava a inspiré plus d'un réalisateur, tant pour la mise en scène que pour l'histoire et l'inventivité des meurtres. Ici, nous avons droit à un couple transpercé par une lance en pleins ébats, à une décapitation à la hache ou une machette en pleine figure – de plus, dans un décor situé au bord d'un lac (tiens, bonjour Sean Cunningham) – ou encore à un égorgement en pleine course, donnant lieu à l'une des images les plus sublimes du film.

L'une des jeunes filles se baigne dans un lac et croise un cadavre. Elle panique et s'enfuit en enfilant maladroitement sa petite robe vert bouteille. Tout en courant, le tueur lui coupe la gorge et elle s'effondre sur un gazon vert brillant sur lequel contraste merveilleusement sa délicate peau pâle et le rouge du sang qui coule de sa plaie béante. C'est de la vraie poésie macabre et cette séquence est juste incroyable de virtuosité.

L'histoire du film est d'une banalité presque affligeante, devenue une base fixe pour la plupart des slashers ayant suivi. Mais ici, point de longueurs ni d'effet déjà-vu grâce à tout le savoir-faire de Mario Bava, qui introduit des personnages mystérieux à intervalles réguliers, ayant chacun un mobile pour ces meurtres incessants.

En effet, les quatre jeunes vont disparaître l'un après l'autre dans la première demi-heure, si bien que l'on se demande ce qui nous attend pour la suite. Et là, le film prend une tournure un peu inhabituelle dans ce genre de film aujourd'hui, étant donné qu'il commence à raconter une vraie histoire qui ne s'éclaircira qu'à la fin. On n'a pas l'impression d'assister à quelque chose de gratuit et malgré son âge certain, ce film a beaucoup mieux vieilli que Vendredi 13, qui s'en inspire jusqu'à en devenir un calque, par moments.

Les acteurs composant le groupe de jeunes n'ont rien de particulier. Ils sont juste là pour servir aux funestes desseins du tueur donc leur développement se limite à quelques chamailleries amicales. On devine que l'un des garçons est amoureux des deux filles qui ne le lui rendent pas et qu'il est toujours tenu un peu à l'écart du groupe mais c'est tout. Et ce n'est pas grave.

Par contre, le couple qui arrive, dont la femme est la belle-fille de la comtesse décédée, comporte un peu plus de substance, notamment grâce à la beauté fragile de Claudine Auger. Elle va se révéler bien plus ferme et rusée qu'elle n'en donne l'impression et une sombre histoire de propriété et d'avidité va se dessiner autour du couple, les détails devenant de plus en plus évidents en même temps que les cadavres s'amoncellent.

Si vous n'avez pas encore vu La Baie Sanglante, il est grand temps de le découvrir, ne serait-ce que pour voir le début du slasher. Je n'ai qu'un seul problème avec ce métrage dont je vais parler dans le paragraphe suivant. Il comporte cependant un monstrueux spoiler concernant la fin, alors ne le lisez que si vous avez déjà vu le film.

La fin est en soi très brutale, voire choquante ("Maman ? Papa ?" - BAM !!) et aurait parfaitement fonctionné en clôturant un film aux propos autrement plus cyniques. Ici, elle laisse un méchant goût d'arrière-pensée foireuse, comme si Bava s'était dit Oh mince, tout le monde est mort. Alors comment faire pour tuer les parents ? Et là, il s'est souvenu de leurs enfants que le spectateur avait oublié tant ils sont inexistants dans ce qui précède. Il n'existe aucune véritable raison pour qu'ils tuent leurs parents, même si cet acte est présenté comme un jeu pour eux (T'as vu comme ils font bien semblant d'être morts ?). Selon moi, l'ironie aurait mieux fonctionné si les parents avaient péri dans un accident provoqué par eux-mêmes et en rapport avec cette baie qu'ils convoitaient tant. Alors qu'ici, le spectateur se sent brutalement mis de côté et plongé dans une réflexion qui nuit en quelque sorte à son appréciation pour le reste du film.

Reste une oeuvre fondatrice que tout amateur du genre se doit d'avoir vu.




Marija NIELSEN

LES 3 VISAGES DE LA PEUR (1963)

 

Titre français : Les 3 Visages de la Peur
Titre original : I tre Volti della Paura
Réalisateur : Mario Bava
Scénariste : Marcello Fondato, Alberto Bevilacqua, Mario Bava, Ugo Guerra 
Musique : Robert Nicolisi
Année : 1963
Pays : Italie, Usa, France
Genre : Film à sketches
Interdiction : -12 ans
Avec : Michele Mercier, Lydia Alfonsi, Jacqueline Pierreux, Milly Monti, Boris Karloff...


L'HISTOIRE : Boris Karloff en personne vient jouer le maître de cérémonie afin de nous présenter les trois histoires qui vont suivre. Tout d'abord, Le Téléphone, huis-clos oppressant dans lequel une jeune femme est harcelée au téléphone par un inconnu qui la menace de la tuer. Ensuite, Les Wurdalaks, une sombre histoire de vampires errant dans la lande où vit recluse une famille de paysans, dans la Russie du XIXème siècle. Enfin, La Goutte d'eau, où une infirmière venue au chevet d'une vieille femme mourante va regretter de lui avoir dérobé sa bague...


MON AVISMario Bava a réalisé dès 1960 un véritable chef-d'oeuvre du cinéma d'épouvante avec Le Masque du Démon. Il délaisse pourtant ce genre pour ses films suivants, se consacrant au drame historique (Esther et le Roi - 1960), au film féerique (Les mille et une nuits - 1961), au péplum fantastique (Hercule contre les Vampires - 1961), au film d'aventure épique (La ruée des Vikings - 1961) et au thriller (La Fille qui en Savait trop - 1963). C'est en 1963 qu'il revient au cinéma d'épouvante et de quelle manière mes aïeux ! Avec Les 3 Visages de la Peur et surtout Le Corps et le Fouet, Mario Bava livre deux œuvres qui feront date dans le cœur des cinéphiles amateurs de frissons gothiques. Ces deux films sont des commandes de producteurs italiens qui veulent surfer sur le succès des films américains de Roger Corman. Ce dernier a réalisé L'Empire de la Terreur en 1962, un film à sketchs inspiré de trois récits d'Edgar Poe. On propose donc à Mario Bava de faire de même et de proposer un film à sketchs dont les histoires proviendraient d’œuvres littéraires. Si Les Wurdalaks proviennent bien du romancier Tolstoï, Le Téléphone et La Goutte d'Eau sont attribués à Guy de Maupassant et Anton Chekhov au générique, ce qui s'est avéré totalement faux après que des spécialistes se soient penchés sur le film. Peut-être les histoire se sont-elles inspirées de ces auteurs ? Pas bien grave de toute façon, l'intérêt du film n'étant pas de savoir si le matériau d'origine a bien été respecté au niveau de l'adaptation.

Qui dit film à sketchs dit généralement un fil conducteur entre les récits proposés. Ce fil conducteur apparaît ici en la personne de Boris Karloff lui-même, le film de Bava étant un coproduction Italo-américano-française. Le célèbre acteur apparaît dès le début comme étant le présentateur des futurs cauchemars qu'on va découvrir et, ce serait le seul point négatif du film, il est dommage que Bava ne l'ait pas fait réapparaître entre chaque récit. Car une fois lancée, les trois sketchs s'enchaînent sans interruption aucune et ça aurait été plutôt sympa de revoir Karloff nous faire une petite présentation de chaque histoire. Il faut savoir que l'ordre des sketchs des 3 Visages de la Peur a été modifié en fonction du pays où le film a été projeté. L'ordre retenu ici est celui voulu par Bava, et qui apparaît comme étant logique puisqu'il propose une montée croissante de la peur, qui reste le thème principal du film et des histoires. 

On commence donc avec Le Téléphone, qui est plus dans un registre policier / suspense, avec une magnifique Michelle Mercier en femme apeurée. Seule dans son appartement, la célèbre actrice de la saga Angélique se voit continuellement harcelée au téléphone par une voix inquiétante et surtout menaçante, qui lui prédit une mort certaine et ce, des années avant Terreur sur la ligne ou Scream ! Le téléphone rouge, inerte, devient ici un objet focalisant la peur de son héroïne et Bava se régale de son huis-clos où chaque nouvelle sonnerie fait monter la tension. L'arrivée d'une amie de l'héroïne, dont on suppose qu'elles ont entretenues une relation lesbienne, fait progresser encore plus le suspense, surtout que le spectateur possède une indication que Michelle Mercier n'a pas et ça, c'est très malin de la part de Bava. La mise en scène est bonne, le jeu sur les lumières et les couleurs également. L'histoire en elle-même n'est pas extraordinaire, de même que le twist, un peu léger mais pour débuter le film, ça fait le job. Un récit qui aurait pu provenir des BD EC Comics du style Crime SuspenStories ou Shock SuspenStories par exemple.


La seconde histoire délaisse l'aspect policier pour se plonger pleinement dans le gothique et l'épouvante. Adaptation très fidèle au récit de Tolstoï, Les Wurdalaks bénéficie en plus de la présence de Boris Karloff en tant qu'acteur. L'histoire nous met face à de vieilles légendes paysannes concernant des vampires, surnommés les Wurdalaks, et qui ont la particularité de sucer les sang des personnes qu'ils aiment profondément. La petite famille du récit attend le retour du patriarche, joué par Karloff, qui est parti depuis cinq jours. On sent une réelle tension au sein de la famille, ayant peur que leur père ne soit devenu un Wurdalak. Un touriste de passage s'invite dans l'humble demeure et tombe sous le charme d'une des filles présentes, Sdenka, interprétée par la charmante Susy Andersen. Le retour du père laisse planer le doute quand à sa véritable nature et Bava fait progresser son récit et l'épouvante qui en découle par petites touches, soignant les décors et son jeu de couleurs comme un artiste peintre virtuose. Dire qu'esthétiquement et visuellement cette histoire est d'une beauté picturale à damner un saint n'est pas exagéré. Ce récit, qui a la durée la plus longue des trois histoires, se suit sans ennui aucun et peut aisément se ranger au côté des plus belles œuvres de la firme anglaise Hammer Films.


Le troisième sketch, La Goutte d'Eau, verse lui aussi dans l'épouvante mais de manière plus réaliste, enfin, façon de parler. Plus réaliste de par les lieux de l'action en fait. Ici, point de village abandonné dans les landes brumeuses ou de vieux châteaux inquiétants. Nous sommes juste dans l'appartement d'une dame âgée qui vient de décéder et dont son infirmière va devoir s'occuper. Admettons que le visage de la morte est absolument terrifiant, croisement entre une momie et donc une dame âgée au sourire carnassier et aux yeux troubles. On apprendra de sa domestique qu'elle faisait souvent des séances de spiritisme. Est-elle morte suite à une de ses séances ou a-t-elle eu simplement une crise cardiaque comme l'a suggéré son médecin ? Mystère. Après avoir habillée la défunte, l'héroïne de l'histoire, jouée par Jacqueline Pierreux, ne peut s'empêcher de dérober la bague de valeur que portait la morte au doigt. Un acte blasphématoire, qui va avoir de solides et angoissantes répercussions sur elle. Le vol de la bague s'accompagne de suite par un bruit de goutte d'eau provenant de diverses sources d'approvisionnement en eau : robinet de lavabo, robinet de douche, verre qui goutte et j'en passe. Une fois de retour chez elle, l'infirmière s'aperçoit que le bruit de ces gouttes d'eau est présent également dans son appartement. S'ensuit des apparitions spectrales de la défunte qui font monter le potentiomètre de la peur à un bon niveau de stress chez le public et surtout chez l'héroïne. Ces bruits, ses apparitions sont-elles réelles ou bien est-ce la culpabilité du vol de la bague qui la travaille ? A vous de le découvrir ! La Goutte d'Eau est lui aussi une pure merveille visuelle qui ravit nos yeux comme jamais. Boris Karloff fait son retour pour clôturer le film, avec une touche d'humour bienvenu !

Si les trois récits n'ont pas la même qualité, chose récurrente dans les films à sketchs, ils remplissent néanmoins le contrat et aucun n'est raté ou vraiment en deçà des autres, ce qui est aussi une réussite du film. Les 3 Visages de la Peur (qui aurait pu être quatre apparemment, un sketch, tourné mais jamais monté, ayant été écarté par la production et définitivement perdu malheureusement) est un film important pour Bava, qui prouve ici son incroyable talent visuel mais aussi de conteur, qu'il mettra encore plus à profit dans ses œuvres suivantes. Un film à savourer et à déguster ! 




Stéphane ERBISTI

6 FEMMES POUR L'ASSASSIN (1964)

 

Titre français : 6 Femmes pour l'Assassin
Titre original : 6 Donne per l'Assassino
Réalisateur : Mario Bava
Scénariste : Giuseppe Barilla, Mario Bava et Marcello Fondato
Musique : Carlo Rustichelli
Année : 1964
Pays : Italie, France, Allemagne
Genre : Giallo
Interdiction : -16 ans
Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, Ariana Gorini, Mary Arden...


L'HISTOIRE : Un mystérieux assassin commet des meurtres sauvages sur les mannequins d’une célèbre agence de haute couture. La police mène l’enquête...


MON AVIS1960. Mario Bava révolutionne le monde de l’épouvante gothique à l’italienne avec Le masque du Démon, mettant en vedette la splendide Barbara Steele.

1963. Mario Bava réalise La fille qui en savait trop, un thriller italien qui commence à poser les fondements de ce qu’on appellera par la suite le giallo. La même année, outre Le Corps et le Fouet, il tourne Les Trois Visages de la Peur, dont le premier sketch intitulé Le Téléphone joue également avec ce qui deviendra les codes du genre du giallo.

1964. Mario Bava reprend les recettes de ses deux films de 1963, les actualise, les modernise, se lâche dans des décors baroques, joue avec les couleurs et pose véritablement les bases du giallo, mettant en scène dans une banale enquête policière un assassin entièrement vêtu de noir, ganté, portant un masque et commettant ses crimes de différentes manières. Violence, sadisme, jolies filles, meurtres et whodunit se combinent avec une alchimie parfaite dans son  6 Femmes pour l’Assassin, œuvre phare, référence absolue pour qui aime le giallo. Pourtant, le film, coproduction Italo-franco-allemande dont le tournage dura six semaines (sic !), ne connut guère un grand succès à l’époque de sa sortie et le genre qu’il fit naître ne décolla vraiment qu’avec la sortie de L’Oiseau au Plumage de Cristal de Dario Argento en 1970. 6 Femmes pour l’Assassin est pourtant une pièce maîtresse du genre, nouvelle preuve du génie de Mario Bava dont la filmographie ne cessera d’influencer les futures générations de réalisateurs.

Dès le générique, Bava surprend son monde par son inventivité. Le nom des acteurs et des actrices vient se superposer sur une image les présentant immobiles, tels des statues, comme autant de photographies avec mise en scène. Le début de l’œuvre ne sera pas non plus sans nous rappeler un certain Suspiria, qui ne débarquera qu’en 77 et qui, pourtant, entretient un étroit rapport pictural avec le film de Bava, tant au niveau des décors que du jeu de lumière fortement coloré, qui plongent chaque séquence de ces deux films dans une ambiance fantasmagorique. Par une nuit orageuse, un jeune mannequin regagne l’immense demeure de la Comtesse Christina Como, devenue une luxueuse maison de haute couture. Alors que la jeune femme tente de gagner rapidement la porte malgré un vent assez violent, la voilà qui se fait agresser par un mystérieux personnage, vêtu d’un imperméable noir, ganté, portant un chapeau et une sorte de masque sur le visage, le rendant méconnaissable. La figure récurrente du giallo dans toute sa splendeur vient d’apparaître pour la première fois sur un écran de cinéma. Un look qui fera date et qui se fera même parodier dans le moindre détail dans la série de films érotico-gore des Fantom Kiler. Mario Bava laisse libre court à son imagination, ne se refuse rien, ne se censure pas, et fait baigner son film dans une atmosphère assez érotique, puisque chaque meurtre nous détaillera les soutiens-gorge ou bas de jarretelles que portent ces demoiselles.

Des meurtres au nombre de six bien sûr, qui se révéleront tous originaux, la mise à mort étant à chaque fois différente. Un procédé que nous retrouverons également dans les futurs slashers movies, dont Mario Bava sera encore une fois l’un des précurseurs avec son fameux La Baie Sanglante en 71. Mais revenons à 6 Femmes pour l’Assassin et à notre tueur. Le second meurtre, toujours baigné dans une atmosphère morbide et fantasmatique, avec des lumières rouges, vertes, violettes, nous dévoilera un curieux instrument, une sorte de gant d’acier pourvu de trois crochets, et qui restera la marque de fabrique du film, l’arme dont tous les spectateurs se rappellent malgré le fait qu’elle n’apparaisse qu’une seule fois dans le film. Notre tueur, froid et déterminé, nous gratifiera par la suite d’autres joyeusetés, comme un visage brûlé, une noyade dans une baignoire ou un étouffement à l’aide d’un coussin par exemple. Des meurtres savamment orchestrés, presque artistiques parfois, et on ne cherchera plus la source d’inspiration de Dario Argento, qui a magnifié ce que Bava avait instauré avec ses films.

Notons que 6 Femmes pour l’Assassin a connu deux montages. Une version censurée et une version intégrale donc. La violence montrée dans le film fera bien sûr sourire à notre époque et on se demandera quel était l’intérêt de couper certaines images tant elles apparaissent soft pour le spectateur contemporain. Car en plus de priver le spectateur des images les plus sanglantes (toute proportion gardée bien sûr), certaines coupures se révéleront carrément handicapantes car privant le spectateur de la logique suivie par le tueur. Le meurtre de la cinquième victime se verra, par exemple, privé d’une scène capitale, celle où le tueur sectionne les veines de sa victime au rasoir, afin de faire croire que cette dernière s’est suicidée. Sans cette séquence, l’histoire perd de sa logique. La coupe la plus marquante restant, quant à elle, la disparition pure et simple de la scène où le tueur sort de sa poche son gant d’acier griffu. Hop, aux oubliettes l’arme culte. Inutile de dire que ce montage cut est totalement à oublier et que seul le montage intégral rend justice au travail de Bava et de son équipe.

Outre ses meurtres diaboliquement stylisés, l’autre force du film est bien sûr la réalisation même de Bava. Mélangeant gothique et modernisme, jouant avec habileté sur le suspense, la terreur, la peur, chaque décor, chaque pièce devient ici un potentiel lieu de mort, d’où le tueur peut surgir à chaque instant. Escaliers, corridors, espaces labyrinthiques, miroirs, Bava joue avec l’espace, avec les perspectives, avec les objets présents dans les différents lieux pour faire naître une angoisse palpable qui terrorisera les futures victimes. Sa caméra se place toujours là ou il faut, faisant se hisser à un très haut niveau un film dont le scénario n’a rien d’extraordinaire.

En effet, d’un point de vue scénaristique, 6 Femmes pour l’Assassin reste d’une facture assez classique. L’enquête policière est sobre, conventionnelle mais grâce au talent de Bava, elle prend une tournure bien plus intéressante qu’elle ne l’est et permet aux spectateurs de ne jamais décrocher et de rester attentif à tous les détails qui pourraient permettre d’en savoir plus sur le tueur et ses motivations.

Habile, le réalisateur s’amuse également à brouiller les pistes et fait de tous les hommes présents dans la maison de haute couture des tueurs potentiels. Chacun d’entre eux semble en effet avoir quelque chose en commun avec Isabella, la première fille assassinée et la découverte surprise de son journal intime semble bien les inquiéter. Tous comme certaines demoiselles également, qui semblent bien décidées à découvrir ce qui peut bien être écrit sur les pages de ce recueil. Ce journal intime, mis dans un sac à main, nous donnera l’une des meilleures séquences du film, séquence où ce sac devient l’objet de toutes les attentions et où la caméra de Bava devient presque le sac à main lui-même. Et donc, les yeux des spectateurs. C’est techniquement et artistiquement admirable.

Niveau casting, les personnages principaux sont campés avec prestance par un excellent trio, Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, trio auquel vient s’ajouter les nombreuses actrices et acteurs interprétant les mannequins et les hommes travaillant dans la maison de haute couture, qui livrent tous une prestation de bonne qualité, parachevant de faire de 6 Femmes pour l’Assassin une œuvre formelle et importante, qu’il faut redécouvrir toute affaire cessante.

Véritable tour de force stylistique juxtaposant chorégraphie meurtrière, jeu de lumière vertigineux et sadisme prononcé, 6 Femmes pour l’Assassin, malgré le poids des années, reste une œuvre phare et magistrale de son réalisateur. Mario Bava prouve une fois de plus qu’il était en avance sur son temps et son talent et son énergie à tenter des choses nouvelles, à expérimenter, donne une fois de plus une œuvre intense, raffinée, qu’on ne se lasse pas de voir et de revoir. Un film phare du cinéma italien.




Stéphane ERBISTI