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BLIND WOMAN'S CURSE (1970)


L'HISTOIRE : Pour venger son père du clan Tachibana, Akemi devient chef de gang et va affronter la bande rivale responsable du décès de son paternel. Durant cette rixe meurtrière, Akemi donne involontairement un coup de sabre à une jeune femme qui devient aveugle, un chat noir venant lécher la blessure de cette dernière. Pour Akemi, ceci est le symbole d'une malédiction qui vient de s'abattre sur elle. Arrêtée, Akemi est placée en prison et rejoint son clan trois ans plus tard. Elle ne désire plus vivre dans la violence et tente d'être une chef de gang qui prône l'apaisement. Mais un gang local, dirigé par Dobashi, ne l'entend pas de cette manière. Dans le même temps, Aiko Gouda, une femme aveugle, vient proposer ses services à Dobashi pour l'aider à anéantir les efforts d'Akemi...


MON AVIS : Le réalisateur japonais Teruo Ishii est principalement connu pour sa célèbre série des Joy of Torture, parmi laquelle on trouve des titres cultes comme L'Enfer des Tortures, Vierges pour le Shogun ou Orgies Sadiques de l'ère Edo par exemple. Spécialisé dans ce qu'on appelle l'ero-guro, à savoir le film érotique grotesque, il va livrer en 1969 l'étonnant Horrors of Malformed Men. En 1970, il réalise ce Blind Woman's Curse, dans lequel il mélange le film de sabre, le film de yakuza, le grotesque, le tout saupoudré d'une toute petite pincée de fantastique, pour un résultat assez déconcertant. La séquence d'introduction met tout de suite dans le ton : au ralenti, on assiste au combat entre deux clans rivaux, l'un d'entre-eux étant mené par la belle Meiko Kaji, future star des sagas Lady Snowblood, Stray Cat Rock ou La Femme Scorpion entre autres.

Joliment chorégraphié, cet affrontement va être le déclencheur d'un incident qui donne au film son titre : Akemi (Meiko Kaji) rend aveugle une fille qui tentait de s'interposer et qui se prend un coup de sabre qui ne lui était pas destiné au niveau des yeux. Un petit chat noir vient lécher le sang qui s'écoule, ce qui trouble le personnage interprétée par Meiko Kaji. En effet, c'est un très mauvais présage, qui annonce une malédiction. Personnellement, je m'attendais pour la suite du film à une réelle bifurcation dans le registre du fantastique pur. Honnêtement, Blind Woman's Curse n'est en rien de ce registre car la suite de l'intrigue reste tout à fait terre à terre.

Pas de spectres, pas de fantômes revanchards à se mettre sous la dent mais une histoire de clan yakuza au temps médiéval, avec traître, combat de sabre, assassinats et quelques belles gerbes de sang rouge écarlate. Meiko Kaji partage l'affiche avec deux autres actrices, l'une interprétant la belle Chie Mitsui (Yôko Takagi), fille de l'oncle d'Akemi qui tombera amoureuse d'un beau chevalier servant qui rejoindra son clan (Makoto Sato), l'autre la sabreuse aveugle venu chercher vengeance (Hoki Tokuda) et proposant ses services à un chef de gang (Tôru Abe) qui désire créer la discorde entre deux clans rivaux pour en tirer partie. Ce dernier est particulièrement antipathique, se livrant à la prostitution et aux trafic de femmes, souvent pour son propre plaisir pervers. Si l'intrigue principale reste très ancrée dans le réalisme, les personnages secondaires et certaines situations ou comportements versent ouvertement dans le grotesque si cher à Teruo Ishii, donnant au film une connotation des plus étranges et effectivement, à la limite du fantastique.

Le protagoniste le plus emblématique de cette recherche du grotesque reste sans conteste Ushimatsu, l'associé de la sabreuse aveugle. Bossu, sautant comme un chat à des hauteurs inaccessibles, empailleur et découpeur de tatouage, ce drôle de numéro est interprété par l'artiste de théâtre Tatsumi Hijikata, l'inventeur de la danse Butoh. Possédant une troupe spécialisée dans le grotesque, il avait déjà fait sensation avec cette dernière dans Horrors of Malformed Men justement. Il récidive donc dans Blind Woman's Curse et apporte une réelle touche d'étrangeté au film. On pourra également citer l'un des yakuzas d'Akemi, au faciès déconcertant et au mimique risible. Cette dualité entre film de sabre classique et personnages ou situations grotesques déconcerteront assurément un public ne sachant pas trop à quoi s'attendre avec ce film. Toujours est-il que les fans de Meiko Kaji apprécieront de voir leur égérie dans son premier grand rôle, même si elle disparaît parfois durant de longues minutes avant de réapparaître à l'écran. La séquence finale est quant à elle sublime, revenant à la tradition de l'affrontement en duel, le tout filmé sous une peinture de ciel orageux du plus bel effet. Assez atypique dans sa réalisation et dans ce qu'il nous propose, Blind Woman's Curse possède pas mal de petits défauts mais ces derniers font aussi partie de son charme et ils sont souvent contrecarrés par de jolies trouvailles visuelles et quelques effets gores qui rendent le spectacle attachant dans son ensemble. Une curiosité.


Titre français : Blind Woman's Curse
Titre original : Hîchirimen Bâkuto - Nôbarydu Takahadâ
Réalisateur : Teruo Ishii
Scénariste : Teruo Ishii, Chûsei Sone
Musique : Hajime Kaburagi
Année : 1970 / Pays : Japon
Genre : Insolite / Interdiction : /
Avec Meiko Kaji, Hoki Tokuda, Makoto Satô, Hideo Sunazuka, Shirô Ôtsuji...





Stéphane ERBISTI

LA BÊTE AVEUGLE (1969)

 

Titre français : La Bête Aveugle
Titre original : Moju
Réalisateur : Yasuzo Masumura
Scénariste : Edogawa Rampo, Yoshio Shirasaka
Musique : Hikaru Hayashi
Année : 1969
Pays : Japon
Genre : Insolite
Interdiction : -16 ans
Avec Eiji Funakoshi, Mako Midori, Noriko Sengoku...


L'HISTOIRE Aki est une call-girl jeune et jolie, servant de modèle pour des photographies érotiques sado-masochistes. Alors qu'elle fait un tour dans une galerie consacrée à l'artiste pour lequel elle pose, elle surprend un homme aveugle tripoter littéralement la sculpture à son effigie. Aki en ressent un profond malaise et s'en va. Quelques temps plus tard, elle appelle un masseur à domicile se révélant être l'aveugle en question. A peine aura-t-elle le temps de le démasquer qu'il l'endort et la kidnappe avec l'aide de sa mère. C'est un cauchemar qui prendra les couleurs d'un fantasme qui commence...


MON AVISJalonné d'histoires d'amour tordues, le cinéma asiatique - et pas seulement le cinéma japonais d'ailleurs puisque les Coréens Kim Di-Duk ou Park Chan Wook mettent en scène très souvent des visions de la passion joliment déjantées - offrira l'un des maîtres étalons du genre, non pas dans le couplet de Nagisa Oshima, mais bien dans l'un des grands chefs-d'œuvre de Yasuzo Masumura, l'un des réalisateurs japonais les plus audacieux de son temps, abordant des thèmes aussi difficiles qu'originaux (les désirs sexuels des grandes victimes de la Seconde Guerre Mondiale ou l'homosexualité féminine par exemple) à travers une carrière particulièrement riche.

Masumura adapte à l'écran un grand nom de la littérature horrifique japonaise, Edogawa Rampo (en lisant son nom à la japonaise, cela donne volontairement Edgar Alan Poe), abonné à un style donnant la part belle à une horreur tout à fait viscérale et dérangeante mais dont les écrits restent malheureusement trop peu connus dans nos contrées. Un auteur qui fut également adapté il y a quelques années par un certain Shinya Tsukamoto, avec le monstrueux Gemini, ce qui n'étonne guère vu l'univers si décalé et si malsain du réalisateur de Tetsuo : The Iron Man.

Sur le lancinant et envoûtant thème musical de Hikaru Hayashi, la jeune Aki nous raconte le début de son histoire : des photos SM défilent, où le bondage est roi, où les chaînes métalliques s'étalent sur les corps nus de jeunes Japonaises aux regards perdus ; entièrement vouées et terrassées par la passion qui les enchaîne, au sens propre comme au figuré.

Lorsque Aki déclare Je m'appelais…, on saura d'emblée que l'histoire se terminera mal, ou que Aki ne sera plus la personne qu'elle était avant, qu'elle deviendra sûrement aussi dominée, blessée et soumise que les modèles sur les photographies.

Sa descente aux enfers débutera par un kidnapping organisé par un aveugle ! Un aveugle particulièrement fasciné par ce qu'il appelle l'art tactile. Coupé du monde et vivant avec une mère castratrice, Michio (c'est le nom de l'aveugle) ne s'adonne pas à la taxidermie, contrairement à son voisin de palier Norman Bates, mais sculpte des corps, des membres, des parties du corps humain. Il s'enferme dans un immense atelier, dont le mur est tapissé d'oreilles, de jambes, de bras, d'yeux, de bouches. Cet antre des sens, on le découvrira en même temps qu'Aki, avec une lumière éclairant petit à petit les différents coins de la pièce. Dali n'est certainement pas loin vu l'aspect surréaliste de cet univers entièrement recréé par un être frustré et obsédé par les courbes féminines.

Ce décor surréaliste sera le décor d'un combat sans merci puis d'une passion sans limites. Effrayée et désorientée, Aki refuse d'écouter les intentions de son ravisseur qui rêve d'en faire son modèle pour une sculpture féminine parfaite. Les tentatives d'évasion sont des échecs complets et la baraque de Michio semble plus que perdue au milieu de nulle part, Aki décide d'user de ses talents de manipulatrice…

S'il n'y a pas réellement de scènes de sexe dans le film de Masumura, La Bête Aveugle n'en reste pas moins furieusement érotique : le corps de la femme est un thème central, primordial. Ici, on pétrit, on masse, on embrasse, on touche ou on sculpte la peau et le corps du sexe faible, et en particulier celui de la jolie Mako Midori.

Masumura met en scène seulement trois acteurs, n'utilise que quelques décors, ne montre quasiment jamais les extérieurs : en fait toute l'action est principalement confinée dans cet atelier surréaliste, dont le centre est occupé par deux gigantesques corps de femmes où les héros vont se chercher et se trouver, se battre ou se lover. Lors d'une poursuite inespérée entre l'agresseur et sa victime, Masumura met magnifiquement en avant l'intelligence de Michio, dont les autres sens sont incroyablement affûtés : malgré sa cécité, il semble réellement voir la jeune femme et suit ses moindres mouvements. Inquiétant donc, mais irrémédiablement beau puisque la scène est bercée par le grand thème musical entêtant.

La relation entre les deux personnages principaux sera fondée tout d'abord sur une grande ambiguïté, avant de prendre une tournure violente, puis passionnelle, et encore violente : le décor s'assombrit, l'atmosphère, jusque là oppressante, devient davantage maladive, pourrissante. 

Masumura filme une passion extrême, où le sexe ne suffit plus, où le plaisir ne peut prendre forme que par la douleur, par l'automutilation ou le vampirisme ; ce qui permet à cette liaison de se fondre lentement en tragédie. Et malgré l'horreur et la folie destructrice qui s'emparent de cette dernière partie, quelque chose d'émouvant se dégage encore du film, comme si la beauté émergeait de là où on ne l'attend pas, de la douleur et de la souffrance des corps consentants et meurtris. A ce stade, on se demande si le film n'aurait pas dû se nommer L'empire des Sens, autre histoire mythique portée sur la passion SM.

Masumura signe là l'un des plus importants et l'un des plus hypnotisant film sado-masochiste de l'histoire du cinéma.




Jérémie MARCHETTI

LA BÊTE (1975)

 

Titre français : La Bête
Titre original : La Bête
Réalisateur : Walerian Borowczyk
Scénariste : Walerian Borowczyk
Musique : Domenico Scarlatti
Année : 1975
Pays : France
Genre : Insolite
Interdiction : -16 ans
Avec Sirpa Lane, Lisbeth Hummel, Elizabeth Kaza, Pierre Benedetti, Guy Trejan...


L'HISTOIRE : Le marquis de l'Espérance décide de marier son fils Maturin avec la belle Lucy, riche héritière américaine. Peu après son arrivée au château, elle voit en rêve la rencontre entre une aïeule de Maturin et une créature avide de sang… et de sexe...


MON AVISSe lançant dans le cinéma en 1969, Walerian Borowczyk va très vite intégrer le rang des réalisateurs provocateurs comme Pasolini, Buñuel ou Ken Russell. Après quelques courts métrages dont certains d'animation, il signe une série de films érotiques très différents de ce qu'on pouvait découvrir à l'époque : un véritable scénario, des références artistiques et un style personnel qui va marquer bon nombre de critiques et spectateurs. Avec Contes immoraux, il abordait déjà l'histoire sanglante de Elizabeth Bathory, avec La Bête il revisite La Belle et la Bête à sa manière.

La jeune et riche Lucy doit être mariée de force avec le crétin Maturin, faisant partie d'une grande famille bourgeoise française. Lucy, en parcourant le château, découvre le portrait de la belle Romilda de l'Espérance qui la fascine. Elle entend également parler d'une légende autour d'une étrange créature qui aurait vécu dans la forêt environnant le domaine. Dès le début, Borowczyk cherche à choquer d'emblée en montrant l'accouplement sauvage et très explicite de deux chevaux. On peut être repoussé par cette scène symbolisant le mariage forcé de Maturin et de Lucy. Par la suite, La Bête prend l'aspect d'une comédie satirique et surréaliste, quelque peu ennuyeuse et rappelant beaucoup le style cher à Buñuel, en moins efficace. On apprend ainsi que Maturin est un véritable débile, que le prête invité est un pédophile et que le serviteur noir a une liaison avec l'une des jeunes femmes de la famille, ne pouvant jamais arriver à l'extase à cause du dérangement perpétuel.

La jeune Lucy va pourtant se mettre à fantasmer et à rêver sur le passé de la fameuse Romilda de l'Espérance, qui aurait rencontré un monstre libidineux. Surveillant un petit agneau, elle le perd dans les bois et se retrouve poursuivie par une horrible bête, qui n'a décidément pas envie de dévorer la jolie donzelle mais plutôt d'en abuser. Va s'ensuivre une poursuite où la jeune femme perd ses vêtements un à un avant de se retrouver piégée par le monstre. Autant vous dire qu'on est loin de l'érotisme raffiné de Contes Immoraux dans les scènes avec la bête : Borowczyk verse sans se gêner dans le hardcore, en montrant des ébats très poussés. La jeune femme réticente va finir par céder aux pulsions du monstre et à accepter ce viol. Une idée pareille aurait pu accoucher d'un stupide film porno ou un film érotique simplet, mais avec Borowczyk aux commandes, on se retrouve en face d'une œuvre quasiment artistique, très soignée. Le réalisateur s'attarde sur chaque geste, chaque détail, dégageant à l'occasion un symbolisme intéressant.

Les clins d'œil à Cocteau et aux romans libertins (citation de Voltaire au début du film) sont nombreux, et on peut penser aux BD érotiques pour adultes (Manara et cie). Le monstre est tout simplement hilarant, avec sa tête de loup, son engin gigantesque et son hurlement foireux. Un monstre qu'on n'est pas près d'oublier, c'est sûr ! 

Outre les scènes avec le monstre, Borowczyk nous gratifie d'une très belle scène de masturbation féminine avec des roses, sans tomber dans la vulgarité à laquelle on peut être habitué dans la plupart des films érotiques. Il faut d'ailleurs savoir que le film était prévu comme étant le cinquième conte immoral du film Contes Immoraux mais rejeté à cause de la censure. Provoquant, ironique et surréaliste, La Bête est un hymne à l'amour physique délirant et à ne pas mettre devant tous les yeux.




Jérémie MARCHETTI

BERBERIAN SOUND STUDIO (2012)

 

Titre français : Berberian Sound Studio
Titre original : Berberian Sound Studio
Réalisateur : Peter Strickland
Scénariste : Peter Strickland
Musique Broadcast
Année : 2012
Pays : Angleterre, Allemagne, Australie
Genre : Insolite
Interdiction : -12 ans
Avec Toby Jones, Antonio Mancino, Guido Adorni, Susanna Cappellaro...


L'HISTOIRE : Nous sommes dans les années 70 et le cinéma de genre transalpin bat alors son plein. Berberian Sound Studio est l'un des studios de postproduction les moins chers et les plus minables d’Italie. Là, arrive Gilderoy, un ingénieur du son naïf et timide tout droit débarqué d'Angleterre. Il est alors chargé d'orchestrer la bande-son du dernier film de Santini, un maître de l'horreur local. Laissant derrière lui les documentaires britanniques et leur ambiance paisible, Gilderoy se retrouve petit à petit plongé dans l'univers inconnu des films d'exploitation italiens. A mesure que les actrices se succèdent pour enregistrer des cris tous aussi stridents les uns que les autres, ses relations avec les membres de l’équipe et certains bureaucrates peu conciliants commencent à décliner. Très vite alors, son nouveau cadre de travail va se transformer, à l’image des films dont il mixe la bande sonore, en véritable cauchemar…


MON AVISL’histoire de Berberian Sound Studio débute de manière plutôt prometteuse et originale en nous montrant cet ingénieur du son / bruiteur qui se retrouve parachuté, pour des raisons professionnelles, de son Angleterre natale vers un studio italien spécialisé dans l’illustration sonore de films bis allant du Z bien gore aux bandes érotiques soft. Très vite, Gilderoy sera confronté à une certaine hostilité de la part des gens l’entourant. Les actrices grinçantes se succédant souvent semblent l’ignorer, les techniciens locaux aux méthodes archaïques le regardent bizarrement, le réalisateur et le producteur sont exigeants quant à leurs demandes et les bureaucrates sont très peu arrangeants puisqu’il doit courir par monts et par vaux afin de se faire rembourser son billet d’avion. Pris dans un milieu inamical, Gilderoy va dans un premier temps se réfugier dans son travail et dans la lecture des lettres adressées par sa mère lui parlant de son pays d’origine, mais très vite, il va devoir faire face à la peur suscitée par les films dont il assure la sonorisation et ses propres démons. 

Au vu de ce résumé alléchant, ce second long-métrage signé Peter Strickland (connu pour Katalin Varga) pouvait être un clin d’œil aux films de genre pullulant dans les années soixante-dix et quasi tous en provenance d’Italie. Mais Berberian Sound Studio est autre chose : un métrage étonnant à plus d’un titre et qui ne le doit pas qu’à son pitch attrayant. On s’attend à un film d’horreur classique et on se retrouve finalement face à une œuvre cinématographique singulière qui ne laissera pas le spectateur indifférent, enfin ça dépend lequel... Ce film est tout d’abord un grand hommage au son. 

Peter Strickland en est un grand admirateur, le mettant toujours à l’honneur. Il a ainsi voulu que le son supplante l'image, que la suggestion remplace la démonstration et faire de son long-métrage une sorte de trip sensoriel. Là, Gilderoy travaille sur un film dont on ne voit pas une seule image. Le tour de force ici, c’est que le spectateur apprend à se passer du film mixé, de ses images (mais on comprend facilement qu’il s’agit de scènes gore et violentes), celles-ci passant au second plan, derrière les scènes où apparaît Gilderoy en train de travailler sur des bruitages ou de faire des montages. C’était donc un pari osé de la part du réalisateur de faire du son l’élément essentiel de son métrage. On peut donc dire que c’est une gageure réussie puisque l’on comprend chaque scène enregistrée uniquement grâce à la force du son, ayant ici une importance capitale, comme dans Blow Out, petit bijou signé par un certain Brian de Palma. Notons d’ailleurs que la bande-son est un chef-d'œuvre concocté par la regrettée Trish Keenan et James Cargill, son acolyte de Broadcast, qui parviennent à installer une ambiance malsaine, anxiogène propre à ce genre de cinéma d'exploitation.

Berberian Sound Studio est également un hommage aux gialli des seventies et plus particulièrement à Dario Argento, le maître en la matière. En effet, les mouvements de caméra sont très stylisés, la bande-son angoissante au possible, les couleurs criardes, quasiment tout y est sauf les scènes excessivement gore. Strickland ayant, comme on l’a dit précédemment, voulu axer entièrement son film sur le son et donc aussi sur le spectacle visuel par une mise en scène très esthétique…mais sans le sang ! Les fans du réalisateur de Suspiria pourront alors y découvrir, avec un certain plaisir, la face cachée d’un film qui aurait presque pu être de lui (du moins au début) tout en profitant d’une atmosphère glauque de giallo à la différence près c’est qu’ici on entend tout mais on ne voit rien. Le physique peu commun de Tobey Jones et certains cadrages bien sentis participent également à donner un charme désuet à cet objet cinéphilique qui, de par son concept original, ne se limitera qu’à un public très limité.

D'une certaine façon, Berberian Sound Studio peut se voir comme un documentaire sur les coulisses du cinéma d'exploitation italien des années 70, en particulier dans le domaine des bandes-sons réalisées de façon artisanale, notamment avec son massacre de légumes tel qu’on n’en a jamais vu sur les écrans. De l'horreur, des cris de scream queens déchaînées et de la sauce tomate : cette reconstitution version baroque est une véritable preuve d’amour d’un cinéma qui a connu son heure de gloire il y a près de quarante ans désormais. Farce sonore au détriment d'une surenchère de gore et d’effusions sanguines disproportionnées, cet objet inclassable est une incontestable mise en abyme sur les dessous du cinéma dit bis, sur ce que l’on ne montre pas, loin des clichés des productions actuelles par trop standardisées et remakées à outrance.

Malheureusement, le scénario ne suit aucune intrigue précise, ou bien celle-ci n'est pas assez creusée, alors qu’aucun rebondissement notable n'apporte un quelconque rythme au film. De plus, la redondance de scènes quasi identiques pourra également paraître gênante et donner l’impression que tout ça tourne très vite en rond. Pis, non content d’un script sans consistance, le scénariste (aussi réalisateur pour le coup) nous fabrique un retournement à la David Lynch pour le moins déroutant, voire ridicule pour certains. Il est totalement insignifiant et laisse surtout à penser que Strickland et son équipe ne savaient pas comment conclure ! Quel dommage car tout était en place pour que le mystère évolue vers quelque chose de grandiose, mais après une première moitié plutôt sympathique, le métrage semble se répéter et surtout la fin vire au surréalisme le plus incompréhensible qui soit, transformant l'ensemble en un film biscornu et énigmatique. On sent alors un grand vide dans le scénario nous donnant le sentiment que le réalisateur n'a pas su choisir entre un long-métrage expérimental pur et un giallo modernisé. Bref, du beau ratage, ce qui est d’autant plus rageant au vu du matériau d’origine et de ses qualités énumérées préalablement !

Film en dehors des conventions cinématographiques habituelles nous montrant l'histoire de la postproduction sonore d'un métrage, Berberian Sound Studio (devant son nom à une certaine Cathy Berberian mariée à Luciano Berio, un des grands pionniers de la musique électro-acoustique) nous offre un long-métrage visuellement maîtrisé doublé d’une bande-son aussi surprenante que pénétrante. Mais voilà, les scènes ont tendance à se répéter dès la moitié du métrage et surtout, un basculement final ridicule dans les dernières minutes vient plomber ce film hommage en lui ôtant tout semblant de logique. 

Au final, Berberian Sound Studio ne remplit pas toutes ses promesses initiales, malgré la présence de Toby Jones, acteur atypique et convaincant en personnage anxieux, peu sûr de lui et rongé par le doute. Le projet ambitieux de faire peur uniquement par le son ne réussit ainsi pas complètement et ce qui se voulait représenter un exercice de style jubilatoire sur le monde du cinéma s’avère n’être, au final, qu’un pétard mouillé pseudo intello. Mieux vaut alors voir ou revoir Amer d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, dans lequel l'hommage aux gialli d’antan est bien rendu et ce, sans effet de style superflu.




Vincent DUMENIL

BENNY'S VIDEO (1992)

 

Titre français : Benny's Video
Titre original : Benny's Video
Réalisateur : Michael Haneke
Scénariste : Michael Haneke
Musique Johann Sebastian Bach
Année : 1992
Pays : Autriche, Suisse
Genre : Insolite
Interdiction : -16 ans
Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe, Ingrid Stassner, Stéphanie Brehme...


L'HISTOIRE : Benny n'est pas un adolescent comme tous les autres. Il est beaucoup plus renfermé, faute d'avoir eu des parents présents. Il se passionne alors pour la vidéo, comblant ainsi ce manque d'affection. Mais parfois la réalité et la fiction se confondent. Certains ados ne sont pas aptes à gérer et finissent par ne plus du tout voir la différence. Benny sera victime de cela, et se verra commettre l'irréparable…


MON AVISBenny's Video ? Quel est ce déroulé d'images dénuées de sentiments et d'émotions ? Et bien, voici encore un film signé de notre mythique Michael Haneke et la mise en image de son talent à nous envoyer dans le monde saugrenu de la violence gratuite est encore bien présent ici ! Précédent Funny Games, voici une autre expérience mise en place par ce réalisateur n'ayant pas peur des tabous !

L'histoire de Benny's Video, me dira t-on n'a pas de grands rapports avec celle de Funny Games si ce n'est le meurtre commun filmé sans que le moindre sentiment humain ne crève l'écran. Notre homme est connu pour cela, alors pourquoi arrêter lorsqu'il le fait si bien ? Cela peut en déranger plus d'un et c'est là toute la force de ses films…

Ici, ce n'est pas la violence entre adulte mais la violence d'un enfant. Qu'est-ce qu'il y a de plus cruelle que l'innocence d'un enfant aimant expérimenter et découvrir la vie, lorsque celui-ci dépasse les limites ?

Haneke nous conte donc l'histoire d'un adolescent atypique, effacé et pétant un câble dans un calme froid à vous glacer le sang ! Le personnage de Ricky Fitts dans American Beauty nous fait furieusement penser à Benny mais bien sûr en beaucoup moins cruel et dérangeant. Cloîtré dans une chambre à l'aspect froid, exigu, coupée de toute lumière si ce n'est celle de son matériel vidéo, Benny mène une vie tranquille dans un monde mêlant réalité et fiction.

Arrive alors le petit détail qui va tout faire dégénérer : il tombe amoureux d'une jeune fille, mais va la tuer de manière glaciale. Il continue ensuite tranquillement sa petite vie de cinéaste amateur totalement siphonné. Et qui ramasse les pots cassés ? Les parents. Sûrement par culpabilité, le père tente d'effacer ce drame par n'importe quel moyen en envoyant sa femme et son fils loin, pour effacer toutes preuves afin de sauver la peau de celui-ci.

Haneke filme avec une teinte principalement bleutée et foncée dans l'appartement pour renforcer le côté froid des scènes et des dialogues, ceux-ci étant courts, expéditifs et totalement inexistants parfois. Il commence son film par le visionnage de l'abattage d'un cochon, lui-même filmé par notre adolescent. Il regarde, rembobine, et regarde de nouveau au ralenti cette scène. Les cris de l'animal deviennent ainsi beaucoup plus atroces qu'au naturel. L'image se brouille, et Benny's Video s'inscrit en lettres rouges. Nous sommes de suite mis en condition. Ce film sera dur à supporter psychologiquement. Nous jonglons donc entre la vie de l'ado et ses vidéos. Une vie d'ado apparemment normale et pourtant quelque chose cloche. Il prend un malin plaisir à déranger. Et sa pauvre victime subira une mort lente et atroce. Abattue comme un animal. Filmée jusqu'au bout.

Nous vivons le meurtre à travers la fameuse caméra de Benny. L'agonie de la jeune fille se traînant sur le sol, puis plus rien, seulement ses cris de douleur. Puis le silence. Un silence pesant mais libérateur de ces cris de souffrance. Et après ? Benny continue sa petite vie comme si cela n'avait été qu'un de ses petits films. Son deuxième personnage se libère, et nous connaissons le vrai Benny : un dérangé. Il se met nu et se caresse avec un peu de sang et bien sûr, toujours en filmant. Il change radicalement d'attitude, se rebelle, se sent comme maître de la situation, de tout. Nous étions en face d'un adolescent renfermé au début, nous sommes maintenant en face d'un ado rebelle, impassible et bien plus malin qu'avant. Il a plus d'un tour dans son sac !

Avec une fin inattendue, Haneke nous signe un film froid, implacable, malsain et glauque à souhait. Bref, un film à voir absolument si l'on aime le travail psychologique sur la violence gratuite qui, ma foi, est bien plus cruel et dérangeant qu'une tonne d'hémoglobine ! A ne pas laisser entre n'importe quelle main tout de même…




Stéphanie AVELINE

BEG ! (1994)

 

Titre français : Beg!
Titre original : Beg!
Réalisateur : Robert Golden
Scénariste : David Glass, Robert Golden, Peta Lily
Musique Stephen W. Parsons, David Pearl
Année : 1994
Pays : Angleterre
Genre : Insolite
Interdiction : /
Avec Peta Lily, Philip Pellew, Julian Bleach, Olegar Fedoro, Jeremy Wilkin...


L'HISTOIRE Un couple en plein ébat amoureux. La belle Penelope Second. L'amant victime d'un meurtre étrange. Tué par un poison, ouvert et recousu d'une étrange façon. Un détective balourd, qui reçoit tout ses ordres par une oreillette. Un hôpital décrépit, où les lits sont en nombre insuffisant. Et la belle Penelope. Trop belle, rattrapée par son passé et la mort de son amant. Là commence une descente aux enfers, une hallucination fantasmagorique rendant toute description vaine...


MON AVISVoici un film acquis par Troma et qui s'avère être une vraiment bonne surprise. Et par surprise, j'entend vraiment SURPRISE.

Tout d'abord je dois vous dire qu'il s'agit d'un film (aussi surprenant que cela puisse paraître) très reposant. Peut-être un peu trop d'ailleurs puisqu'en ce qui me concerne, j'ai eu tendance à avoir les paupières très lourdes. Tout cela du fait de l'utilisation d'un scope de couleurs douces (même le rouge apparaît doux !) et de musiques tranquillisantes. Cependant ne vous laissez pas rebuter par cet aspect car le film est un pur chef-d'oeuvre.

La jaquette annonce c'est Fellini et Argento avec un zeste de Kubrick. Pour ma part Beg! consiste plutôt en un cocktail de Caro et Jeunet avec un zest dépressif, et un penchant singulièrement plus morbide. On pensera donc beaucoup à La Cité des Enfants Perdus pour l'aspect graphique. En effet l'image est toujours travaillée au possible. Les éclairages sont sublimes, créant de nombreux clairs-obscurs, ou travaillant les différentes catégorie de plans. Le premier plan peut être éclairé en rouge alors qu'une partie de l'arrière-plan se trouve noyé dans le bleu.

Au-delà de la colorimétrie, les décors eux aussi recèlent une personnalité. Ils semblent soupirer, transpirent la mélancolie, la douleur aussi. A tout instant l'environnement joue un rôle, il n'est jamais neutre, jamais passif. Il semble parfois même prendre le pas sur les personnages. C'est ce décor qui plonge les protagonistes dans une quête obsessionnelle d'accomplissement, où ils ont tout a perdre. D’où cette importance qui lui est donnée.

Étonnant, puisqu'a l'origine Beg! est une pièce de théâtre écrite par Peta Lily et David Glass. Peta Lily qui est d'ailleurs l'actrice principale du film. De fait si les décors sont si travaillés qu'il est difficile de croire qu'il s'agit originellement d'une oeuvre de scène, le jeu des acteurs est, quant à lui, on ne peut plus théâtral. Leurs mouvements sont très amples, et leur expressions frôlent le caricatural. Si cela contribue fortement à accentuer l'ambiance grotesque du métrage, certains pourront en être gênés, ceux-la même qui ont trouvé les premiers longs de Caro et Jeunet insupportables.

Lorsque vous vous apprêterez à regarder le film, laissez votre sens logique de côté. Il s'agit en effet d'un cauchemar fantasmagorique, les images que vous recevrez renforcent ce sens de l'illusion, de l'impalpable. Laissez-vous donc emporter par ces images, n'essayez pas de tout interpréter à tout prix, cela ferait retomber l'effet hypnotique du métrage de Robert Golden.

Le flot graphique continu que constitue Beg! pourra donc s'avérer difficile à ingurgiter par instant. Cependant, se laisser emporter par son courant empoisonné est comme une douce hallucination. Le métrage est ainsi une réussite flagrante dans la mesure où, sans être réellement cohérent (mais les hallucination peuvent-elles être cohérentes?), il s'avère être une véritable expérience. Une projection dans les fantasmes malades d'(une) autre(s) personne(s).

Au final ce métrage anglais que Troma a acquis s'avère d'une qualité exceptionnelle. Tout est finalisé au millimètre près. Plus particulièrement le son, qui s'avère d'une importance cruciale. Ainsi le détective Stiltskin est guidé à distance par son mentor qui ne peut qu'entendre ce qui se passe autour du détective. Les bruits sont donc amplifiés, et mis en image, de façon onirique. L'atmosphère poisseuse colle à la peau et à l'esprit, et le film terminé, reste un arrière goût de mauvais rêve, comme un réveil en sursaut. 

Une réussite totale donc, pour un métrage qui relève plus de l'essai fantasmatique, de l'expérimental, que réellement du film d'horreur de divertissement.

Colin VETTIER

THE BABY (1973)

 

Titre français : The Baby
Titre original : The Baby
Réalisateur : Ted Post
Scénariste : Abe Polsky
Musique : Gerald Fried
Année : 1973
Pays : Usa
Genre : Insolite
Interdiction : /
Avec : Anjanette Comer, Ruth Roman, Marianna Hill, Susanne Zenor, David Mooney...


L'HISTOIRE : Assistante sociale qui a perdu son mari suite à un accident, Ann Gentry décide de s'occuper de la famille Wadsworth. Mme Wadsworth vit seule avec ses deux filles, Germaine et Alba, ainsi qu'avec Baby, un jeune homme qui n'a jamais évolué et en est resté au stade infantile. Il ne sait ni marcher, ni se mettre debout, ni parler, ni manger tout seul et porte encore des couches. Prise d'affection pour Baby, Ann tente de raisonner Mme Wadsworth en lui faisant comprendre que des instituts spécialisés peuvent venir en aide à Baby. Plus Ann passe du temps chez les Wadsworth, plus elle s'aperçoit que le comportement de la mère et de deux sœurs de Baby est étrange et pourrait être la cause de la non-évolution du jeune homme...


MON AVISJe l'ai déjà dit, les années 70 possèdent son lot de films étranges, obscurs, radicaux, incisifs, dérangeants. Je viens encore de vous dégoter une perle dans ce domaine, avec The Baby de Ted Post ! Ce nom ne vous semblera sûrement pas inconnu et pour cause, on doit à ce réalisateur qui a débuté sa carrière  dans la série-télévisée dans les années 50 des films tels Pendez-les haut et court (1968), Le Secret de la Planète des Singes (1970), Magnum Force (1973), Le Commando des Tigres Noirs (1978) ou Nightkill (1980) entre autres. La même année que le polar burné avec Clint Eastwood, Ted Post réalise donc The Baby, assurément l'un des films les plus bizarres et déconcertant que j'ai jamais vu.

Ne vous fiez pas à l'affiche du film, qui ferait passer cet ovni pour ce qu'il n'est pas, mais alors pas du tout, à savoir une comédie polissonne. The Baby n'est en rien une gaudriole sexy, c'est le moins que l'on puisse dire. C'est un drame insolite, inclassable, dont certaines situations pourraient prêter à rire mais dont l'ambiance, l'atmosphère malsaine qui se dégage des images, annihile tous sourire de notre visage. On félicitera le scénariste Abe Polsky d'avoir rédigé une telle histoire, originale dans sa construction et son développement, nous proposant des événements que je pense pas avoir déjà vu auparavant, et qui nous réserve, qui plus est, un final totalement apocalyptique, qui ferait presque bifurquer The Baby dans le film d'horreur psychotique, et une ultime séquence totalement incroyable et azimutée, qui remet presque en cause tout ce qui a précédé ou, tout du moins, va nous faire bien réfléchir sur ce qu'on a vu et qu'on pensait acquis. 

The Baby est donc l'histoire d'une assistante sociale, Ann Gentry (Anjanette Comer) qui va rencontrer une famille très spéciale, composée d'une mère, Mme Wadsworth (Ruth Roman), de ses deux filles Germaine (Marianna Hill) et Alba (Susanne Zenor) et de son fils, surnommé Baby (David Mooney). Ce dernier nécessite une attention toute particulière puisque malgré son âge (une bonne trentaine passée je dirais), Baby est toujours resté à l'état de bébé, ne marchant pas, ne parlant pas, dormant avec ses doudous dans un lit de bois à barreau, malgré sa taille, et devant encore porter des couches. Un sérieux handicap pour ce jeune homme, autant physique que mental. 

L'acteur donnant vie à Baby est assez remarquable, car si ses crises et ses pleurnicheries, telles qu'un vrai bébé pourrait en avoir, font sourire au départ, l'ambiance qui va s'immiscer dans le récit peu à peu va rapidement devenir oppressante, et on ne sourira plus vraiment devant ses mimiques, qui passeraient pour être un sommet de ridicule dans un film. Car Ted Post traite cette histoire avec un sérieux à toute épreuve, et son casting est parfaitement en place pour nous faire ressentir tout le caractère malsain de ce qui se trame devant nos yeux. 

La question que le spectateur en vient à se poser, celle-là même que se pose l'assistante sociale Ann Gentry d'ailleurs, n'est autre que : Baby a-t-il un réel handicap mental et moteur OU est-ce sa famille, qui semble un brin dérangée, qui l'a forcé depuis des années à ne pas grandir et l’a infantilisé de la sorte ? On imagine alors les sévices et les épreuves que cet enfant a du subir dans sa jeunesse si tel est bel et bien le cas ! Les trois membres de la famille Wodsworth sont parfaitement interprétés et on n’hésitera pas à classer cette famille parmi les plus tordues qu'on ait vu. Mme Wodsworth a le visage de Ruth Roman et semble être une sorte de calque de Bette Davis dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? ou de Shelley Winters dans Black Journal. On sent qu'elle porte un amour infini à son fils Baby mais que tout ne tourne pas rond non plus dans sa tête. 

Il en va de même pour ses filles, que ce soit Germaine, qui nous offrira une séquence à la limite du glauque quand elle se rendra la nuit dans la chambre de Baby, ou Alba, charmante blondinette qui s'avérera des plus sadiques envers son frère. Un trio diabolique, qui ne va pas apprécier l'intrusion de l'assistante sociale et qui va tout faire pour que cette dernière les laisse en paix. 

Anjanette Comer, dans le rôle d'Ann Gentry, est elle aussi particulièrement à l'aise et livre une solide composition. Ce ne doit pas être facile de rester sérieuse et de se montrer attendrie devant un acteur qui mine des comportements de bébé. Pourtant, on ressent totalement l'empathie qu'elle éprouve pour ce cas déroutant. 

Comme dit plus haut, certaines séquences du film sont d'un mauvais goût assumé et provoque un réel mal-être chez le spectateur, à l'image de la séquence avec la baby-sitter, qui se laissera téter un sein par Baby. 

Très honnêtement, je ne savais pas à quoi m'attendre quand j'ai débuté la vision de The Baby et le résultat est au-dessus de mes attentes. Le film est en plus bien filmé, Ted Post ne l'a pas du tout bâclé et a apporté un soin particulier à sa mise en scène et à sa direction d'acteurs. Amateurs de bizarreries sur pellicule, je ne peux donc que vous conseiller de vous jeter séance tenante sur The Baby, une véritable curiosité au scénario improbable mais qui fonctionne pourtant bel et bien. Et cette fin ! Insolite, quand tu nous tiens ! 




Stéphane ERBISTI

BALADA TRISTE (2010)

 

Titre français : Balada Triste
Titre original : Balada Triste de Trompeta
Réalisateur : Alex de la Iglesia
Scénariste : Alex de la Iglesia
Musique Roque Baños
Année : 2010
Pays : Espagne, France
Genre : Insolite
Interdiction : -12 ans
Avec : Santiago Segura, Antonio de la Torre, Javier Botet, Fernando Guillén Cuervo...


L'HISTOIRE : Javier, orphelin depuis que son père fut tué pendant la Guerre d'Espagne, intègre un cirque pour devenir le clown triste de la troupe, comme le veut la tradition familiale. Il fait la connaissance d'un panel de personnages atypiques, dont la belle Natalia, femme de Sergio, le clown auguste, alcoolique et violent. Mais en tombant sous le charme de la jeune femme, Javier ne se doute pas des ennuis que cette dernière va lui attirer...


MON AVISAprès un Crime à Oxford d'excellente facture (si tous les thrillers venus des USA étaient de cette qualité...), mais bien loin de son univers, Alex de la Iglesia revient en quelque sorte à ses amours avec un film que l'on peut considérer comme un film somme de son oeuvre. Un de ces long-métrages qui nous réconcilient avec un certain type de cinéma , celui de l'outrance, de l'originalité, de l'intelligence, de la démesure et de l'humour noir comme un morceau de charbon.

Le pitch est insensé, la manière de le mettre en images est excessif, déraisonnable, extravagant. Le mélange des genres y culmine à un niveau rarement atteint, drame, humour acide, horreur, une touche de fantastique, un arrière-plan historique. Tout cela se brassant avec la gouleyante virtuosité des meilleurs assemblages de cépages vinicoles.

Par son parti pris même, Balada Triste aurait pu être un foutoir dénué de sens, une cacophonie inaudible ; c'est sans compter sur la fougue, quasiment frénétique, de De La Iglesia pour faire accroire à son extravagante histoire. Quel rythme ! Quelle jubilation !

Balada Triste c'est un indubitable amour des petites gens, des moches, des sans-grade, des freaks, de ceux dont la vie semble écrite pour être, de bout en bout, un long chemin de croix. Un terrible besoin de reconnaissance, d'amour, un besoin inexorablement anéanti par la bêtise, l'absence d'empathie des autres. Le réalisateur déroulant son pessimisme habituel en le cachant derrière un cynisme et un humour noir jubilatoire tout aussi habituels dans sa filmographie, mais portés à un échelon supérieur.

Si les références abondent, elles sont passées à la moulinette de la vision du réalisateur. On pense au Freaks de Tod Browning, au Labyrinthe de Pan par son arrière plan Franquiste, schisme de l'histoire et de la population espagnole dont il semble bien que ce soit encore un passé qui ne passe toujours pas. On pense aussi fortement à un autre frappé du bulbe cinématographique, le dénommé Alejandro Jodorowsky et notamment Santa Sangre, film se passant aussi dans l'univers du cirque. On pense enfin et surtout que De la Iglesia tutoie une certaine forme de maestria dans son art avec cet oeuvre à nulle autre pareille.

Cependant, à n'en pas douter, Balada Triste trouvera ses contradicteurs. Ceux que le style, la pagaille organisée du réalisateur ont déjà dérangés dans ses précédents opus. Ceux là feront certainement grise mine, ils se trouveront confortés dans leur opinion. Trop de tout, de choses survolées, peu de synthétisation de l'action, de l'intrigue et des ellipses plus grosses que des sumotoris atteints d'hypertrophie glandulaire. Les autres seront, a priori, aux anges et suivront avec délices les pérégrinations des personnages, comme l'on suit l'enterrement d'un vieil ennemi occis par un virus purulent : avec jouissance.

Quand un film parvient à nous tenir en haleine, à nous faire passer par des émotions aussi contradictoires que la joie et la peine, le rire et les pleurs, que la réalisation est maîtrisée, que les acteurs sont excellents, que l'on ne voit pas passer le temps, qu'une fois sortis de la projection on garde des images dans son esprit et son cœur pendant un bon moment. Quand il y a tout cela, c'est que l'on est en présence d'une de ces œuvres singulières qui marque le cinéphage assoiffé de différences, que l'on est devant un grand film.

M.De la Iglesia, vite un autre !

Balada triste de trompeta
por un pasado que murio
y que llora
y que gime
como llooooooraaaaa




Lionel JACQUET

BABYPHONE (2023)

 

Titre français : Babyphone
Titre original : Babyphone
Réalisateur : Ana Girardot
Scénariste Ana Girardot, Mahault Mollaret
Musique /
Année : 2023
Pays : France
Genre : Thriller, insolite
Interdiction : -12 ans
Avec Ana Girardot, Félix Moati, Lyna Khoudri, Niseema Theillaud, Hippolyte Girardot...


L'HISTOIRE : Fraîchement installée dans une maison à la campagne avec son mari Noah et leur fils Sol, âgé de six mois, Agathe fait la découverte, derrière une cloison, d'une chambre d'enfant jusque-là condamnée mais dont l’intérieur est intact, comme si rien ne semblait avoir bougé depuis des années. Là, elle y trouve un vieux babyphone abandonné dans un tiroir et toujours en état de marche. Réticente au début mais portée par l'enthousiasme de son mari, la jeune maman accepte d'installer leur fils dans la pièce jusque-là close, l’oreille collée à l'appareil, à l'affût du moindre bruit. Toutefois, quand d’étranges sons et autres sensations viendront semer le doute et la confusion dans l’esprit d’Agathe, cette dernière devra faire la part des choses entre un nouvel environnement qu’elle connait encore mal, sa fatigue légitime et ses angoisses de nouvelle maman...


MON AVISMalgré un scénario un peu convenu pour qui a déjà vu pas mal de films de genre (on pense en effet à Evil Dead et Rosemary’s Baby pour ne citer que deux des plus connus), c'est la présentation et le format de ce métrage qui en font un objet à part ! En effet, en moins d'une heure environ, on n'aura que du son à se mettre sous la dent ou plutôt dans les oreilles avec seulement quelques plans fixes nous indiquant dans quelle pièce de la maison on se trouve et avec qui ! Babyphone est effectivement une fiction audio enregistrée grâce à une drôle de tête binaurale, un dispositif encore relativement rare (sorte de casque porté sur la tête), qui restitue tous les dialogues et bruits à 360 degrés, ce qui nous plonge totalement dans la peau des personnages. Et ce sentiment d’immersion est également renforcé par le fait que Babyphone a été capté dans des décors naturels – maison qui grince et arbres de la forêt avoisinante qui craquent – et non en studio comme la plupart des projets de ce genre. Celui-ci en tout cas est l’œuvre de l’actrice Ana Girardot (vue récemment dans Ogre) devenue mère récemment et qui ici, dans ce thriller mâtiné de jumpscares, partage avec nous une réflexion sur les difficultés de la maternité actuellement, inspirée de sa propre expérience.

Ainsi, pendant une cinquantaine de minutes, Ana Girardot se glissera dans la peau d’Agathe, une jeune mère qui vient d’emménager avec son compagnon Noah (Félix Moati) et leur bébé Sol au fin fond de la campagne, dans une vieille maison typique des films d’horreur classiques, avec le parquet qui grince, les croix sur les murs et les arbres qui bruissent étrangement. Entre un mari très absent car s’occupant du restaurant qu’il a ouvert dans un proche village, une reprise difficile d’activité en freelance car il faut s’occuper très souvent du bébé, une voisine envahissante et flippante (Niseema Theillaud), le maire du coin (Hippolyte Girardot) qui semble cacher des choses sur l’histoire de cette maison et l’absence de son psy (Cédric Klapisch) resté à Paris, Agathe est en pleine dépression post-partum et n’a pas de quoi se rassurer !

Et ça ne va pas s’arranger car après avoir découvert une chambre d’enfant cachée derrière un mur, le jeune couple décide d’y installer leur fils, malgré l’atmosphère très oppressante de la pièce. On pressent bien que quelque chose de grave s’est passé ici, mais quoi ? Heureusement ou pas, un babyphone encore en état de marche se trouve toujours dans la pièce et permet à Agathe d’épier les moindres bruits en provenance de la chambre de son fils, à moins que tout cela ne soit qu’un piège…

Ainsi, à travers cette histoire, Ana Girardot évoque donc des problématiques très actuelles comme la charge mentale qui pèse principalement sur les jeunes mamans, soumises comme Agathe à la pression d’être performantes dans tous les aspects de leur vie et qui craignant d’être de mauvaises mères, se retrouvent complètement submergées et épuisées par leur rôle de mère, de femme active et d’amante. Elles se retrouvent donc en pleine dépression post-partum ou en plein burn-out parental, comme on dit dans un jargon plus psychiatrique.

Au final, on aura assisté à un beau tour de force de la part d’Ana Girardot car arriver à transmettre autant d'émotion par l’ouïe, c'est vraiment fort ! Alors quand en plus on arrive à ressentir toute la solitude et la détresse de cette mère qui connaît une grosse dépression post-partum, on se dit qu'on a tout gagné car ce sujet est très actuel ! Toutefois, on restera un peu sur notre faim devant une fin un peu trop énigmatique à notre goût, mais en tout cas, quelle belle expérience sensorielle et immersive ! Il ne vous reste donc plus qu’à vous isoler dans une pièce, enfiler un bon casque sur les oreilles et à fermer les yeux pour vous plonger dans ce thriller plus sérieux qu’il n’en a l’air et français ma bonne dame !




Vincent DUMENIL