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LA BÊTE AVEUGLE (1969)

 

Titre français : La Bête Aveugle
Titre original : Moju
Réalisateur : Yasuzo Masumura
Scénariste : Edogawa Rampo, Yoshio Shirasaka
Musique : Hikaru Hayashi
Année : 1969
Pays : Japon
Genre : Insolite
Interdiction : -16 ans
Avec Eiji Funakoshi, Mako Midori, Noriko Sengoku...


L'HISTOIRE Aki est une call-girl jeune et jolie, servant de modèle pour des photographies érotiques sado-masochistes. Alors qu'elle fait un tour dans une galerie consacrée à l'artiste pour lequel elle pose, elle surprend un homme aveugle tripoter littéralement la sculpture à son effigie. Aki en ressent un profond malaise et s'en va. Quelques temps plus tard, elle appelle un masseur à domicile se révélant être l'aveugle en question. A peine aura-t-elle le temps de le démasquer qu'il l'endort et la kidnappe avec l'aide de sa mère. C'est un cauchemar qui prendra les couleurs d'un fantasme qui commence...


MON AVISJalonné d'histoires d'amour tordues, le cinéma asiatique - et pas seulement le cinéma japonais d'ailleurs puisque les Coréens Kim Di-Duk ou Park Chan Wook mettent en scène très souvent des visions de la passion joliment déjantées - offrira l'un des maîtres étalons du genre, non pas dans le couplet de Nagisa Oshima, mais bien dans l'un des grands chefs-d'œuvre de Yasuzo Masumura, l'un des réalisateurs japonais les plus audacieux de son temps, abordant des thèmes aussi difficiles qu'originaux (les désirs sexuels des grandes victimes de la Seconde Guerre Mondiale ou l'homosexualité féminine par exemple) à travers une carrière particulièrement riche.

Masumura adapte à l'écran un grand nom de la littérature horrifique japonaise, Edogawa Rampo (en lisant son nom à la japonaise, cela donne volontairement Edgar Alan Poe), abonné à un style donnant la part belle à une horreur tout à fait viscérale et dérangeante mais dont les écrits restent malheureusement trop peu connus dans nos contrées. Un auteur qui fut également adapté il y a quelques années par un certain Shinya Tsukamoto, avec le monstrueux Gemini, ce qui n'étonne guère vu l'univers si décalé et si malsain du réalisateur de Tetsuo : The Iron Man.

Sur le lancinant et envoûtant thème musical de Hikaru Hayashi, la jeune Aki nous raconte le début de son histoire : des photos SM défilent, où le bondage est roi, où les chaînes métalliques s'étalent sur les corps nus de jeunes Japonaises aux regards perdus ; entièrement vouées et terrassées par la passion qui les enchaîne, au sens propre comme au figuré.

Lorsque Aki déclare Je m'appelais…, on saura d'emblée que l'histoire se terminera mal, ou que Aki ne sera plus la personne qu'elle était avant, qu'elle deviendra sûrement aussi dominée, blessée et soumise que les modèles sur les photographies.

Sa descente aux enfers débutera par un kidnapping organisé par un aveugle ! Un aveugle particulièrement fasciné par ce qu'il appelle l'art tactile. Coupé du monde et vivant avec une mère castratrice, Michio (c'est le nom de l'aveugle) ne s'adonne pas à la taxidermie, contrairement à son voisin de palier Norman Bates, mais sculpte des corps, des membres, des parties du corps humain. Il s'enferme dans un immense atelier, dont le mur est tapissé d'oreilles, de jambes, de bras, d'yeux, de bouches. Cet antre des sens, on le découvrira en même temps qu'Aki, avec une lumière éclairant petit à petit les différents coins de la pièce. Dali n'est certainement pas loin vu l'aspect surréaliste de cet univers entièrement recréé par un être frustré et obsédé par les courbes féminines.

Ce décor surréaliste sera le décor d'un combat sans merci puis d'une passion sans limites. Effrayée et désorientée, Aki refuse d'écouter les intentions de son ravisseur qui rêve d'en faire son modèle pour une sculpture féminine parfaite. Les tentatives d'évasion sont des échecs complets et la baraque de Michio semble plus que perdue au milieu de nulle part, Aki décide d'user de ses talents de manipulatrice…

S'il n'y a pas réellement de scènes de sexe dans le film de Masumura, La Bête Aveugle n'en reste pas moins furieusement érotique : le corps de la femme est un thème central, primordial. Ici, on pétrit, on masse, on embrasse, on touche ou on sculpte la peau et le corps du sexe faible, et en particulier celui de la jolie Mako Midori.

Masumura met en scène seulement trois acteurs, n'utilise que quelques décors, ne montre quasiment jamais les extérieurs : en fait toute l'action est principalement confinée dans cet atelier surréaliste, dont le centre est occupé par deux gigantesques corps de femmes où les héros vont se chercher et se trouver, se battre ou se lover. Lors d'une poursuite inespérée entre l'agresseur et sa victime, Masumura met magnifiquement en avant l'intelligence de Michio, dont les autres sens sont incroyablement affûtés : malgré sa cécité, il semble réellement voir la jeune femme et suit ses moindres mouvements. Inquiétant donc, mais irrémédiablement beau puisque la scène est bercée par le grand thème musical entêtant.

La relation entre les deux personnages principaux sera fondée tout d'abord sur une grande ambiguïté, avant de prendre une tournure violente, puis passionnelle, et encore violente : le décor s'assombrit, l'atmosphère, jusque là oppressante, devient davantage maladive, pourrissante. 

Masumura filme une passion extrême, où le sexe ne suffit plus, où le plaisir ne peut prendre forme que par la douleur, par l'automutilation ou le vampirisme ; ce qui permet à cette liaison de se fondre lentement en tragédie. Et malgré l'horreur et la folie destructrice qui s'emparent de cette dernière partie, quelque chose d'émouvant se dégage encore du film, comme si la beauté émergeait de là où on ne l'attend pas, de la douleur et de la souffrance des corps consentants et meurtris. A ce stade, on se demande si le film n'aurait pas dû se nommer L'empire des Sens, autre histoire mythique portée sur la passion SM.

Masumura signe là l'un des plus importants et l'un des plus hypnotisant film sado-masochiste de l'histoire du cinéma.




Jérémie MARCHETTI

BEATRICE CENCI - LIENS D'AMOUR ET DE SANG (1969)

 

Titre français : Beatrice Cenci - Liens d'Amour et de Sang
Titre original : Beatrice Cenci
Réalisateur : Lucio Fulci
Scénariste : Lucio Fulci, Roberto Gianviti
Musique Angelo Francesco Lavagnino, Silvano Spadaccino
Année : 1969
Pays : Italie
Genre : Sorcellerie, Inquisition
Interdiction : -16 ans
Avec Tomas Milian, Adrienne Larussa, Georges Wilson, Mavie, Antonio Casagrande...


L'HISTOIRE  À Rome en 1599, la jeune Béatrice attend dans une cellule le moment de son exécution. Son crime est d’avoir commandité l’assassinat de son père, Francesco Cenci, noble tyrannique et incestueux. La sentence provoque l’ire du peuple qui voit en la « Belle parricide » la martyre d’une société arrogante et hypocrite. Mais derrière l’icône se cache un personnage complexe qui a su manipuler les sentiments du serviteur Olimpio pour arriver à ses fins...


MON AVIS : Quand on évoque le nom de Lucio Fulci, on pense en premier lieu à ses nombreuses œuvres horrifiques, de L'Enfer des Zombies à Frayeurs, de L'Au-Delà à La Maison près du Cimetière entre autres, pour ne citer que les quatre plus célèbres. Les amateurs du réalisateur transalpin savent pourtant qu'il a touché à bien d'autre genre, tel la comédie, le western, le polar, l'heroic fantasy ou le film d'aventure par exemple. 

En 1969, il s'attaque même au drame historique, pour ce qui sera d'ailleurs son unique incursion dans ce genre, et réalise Beatrice Cenci, film à costumes qui mêle vérité et liberté historique, drame sordide, machination, amour destructeur et scènes de torture. A l'arrivée, un seul mot nous vient à l'esprit après visionnage du film : grandiose ! Sans contestation possible, on tient là le plus beau film de Lucio Fulci, avec La Maison près du Cimetière.

Connu en France sous le titre de Liens d'Amour et de SangBeatrice Cenci est une oeuvre maîtrisée, visuellement magnifique, et qui n’hésite pas à égratigner de façon frontale la religion et le Pape lui-même, ce qui valut d’ailleurs au film quelques petits soucis avec le Vatican lors de sa sortie. L’insuccès du film déprima profondément Lucio Fulci qui s’était investi à fond dans le projet, disant même que c'est le film qui lui tient le plus à cœur de toute sa filmographie. 

Relatant un fait divers ayant eu lieu au XVIème siècle et qui demeure toujours présent dans les esprits en Italie, le personnage de Beatrice étant devenu l'icône du féminisme suite à sa décapitation pour parricide, le film de Fulci est une oeuvre forte, chargée d’émotion et de scènes choc, puissantes. Le personnage de Francesco Cenci, interprété avec conviction par le français Georges Wilson (célèbre acteur, père de Lambert Wilson et réalisateur d'un unique film, La Vouivre en 1989) nous apparaît d’une cruauté sans égale, cupide, violent, se réjouissant de la mort de deux de ses fils car cela lui permet de ne plus dépenser d’argent pour eux, ou n’hésitant pas, sous l’emprise de l’alcool, de tenter d’avoir une relation sexuelle avec sa propre fille Béatrice. On comprend alors le désir morbide de cette jeune fille, qui se destine au couvent, à vouloir la mort de son paternel. Mais l’Inquisition, dans toute sa mauvaise foi, ne verra dans ce drame familial qu’un prétexte pour torturer et mettre à mort les membres de la famille Cenci, permettant alors à l’Église de récupérer toute la fortune et les biens amassés par Francesco Cenci. 

On comprend que le Vatican n’ait pas apprécié cette lourde charge de Lucio Fulci à son encontre, ce dernier étant pourtant croyant. Il n’hésite d’ailleurs pas à filmer de manière crue les tortures subies par le serviteur de Béatrice, personnage très bien interprété par Tomas Milian. Des séquences d’une rare intensité et superbement mises en scène, avec un souci de réalisme qui fait froid dans le dos. On n’est pas loin du terrible La Marque du Diable qui sortira l’année suivante. Mais plus que les attaques envers la religion et la soif d’argent et de pouvoir, Beatrice Cenci est avant tout un hymne à la condition féminine, une ode à la liberté des femmes, une attaque contre la patriarcat. Béatrice devient alors une sorte de martyr, ayant juste voulu s’échapper d’une vie qu’on a décidé pour elle, d'une vie placée sous le signe de la peur et de la violence, deux facteurs représentés par la figure du père. 

On peut trouver  hautaine et ingrate l'attitude de Beatrice face à son serviteur qui vient de se faire torturer et qui l'a aidé à mener à bien son parricide par amour, la jeune femme ne lui jetant jamais un seul regard quand elle quitte la salle d'audience. Une attitude qui montre que Beatrice a plusieurs facettes et que derrière son visage angélique peut se cacher un être froid et déterminé, voire même cruel, qui n'hésite pas à se montrer manipulatrice pour parvenir à ses fins. Impossible de ne pas mentionner son extraordinaire interprète, Adrienne Larussa, assurément l'une des plus belles actrices jamais vues sur un écran. 

Si l'entente entre l'actrice et son réalisateur n'était pas au beau fixe durant le tournage, Adrienne Larussa ayant tendance à se prendre pour une diva selon quelques autres acteurs (dont Mavie Bardanzellu qui joue la mère de Beatrice dans le film), impossible de rester insensible face à ce visage parfait, qui incarne tour à tour la détermination, l'abnégation, la peur, la haine, la souffrance. La jeune actrice américaine, qui n'a pas eu une grande carrière (on l'a vu dans Psychout for Murder en 69 ou dans L'Homme qui venait d'ailleurs en 76 par exemple, ainsi que dans des épisodes de séries-télévisées) s'en sort vraiment bien et irradie l'écran à chacune de ses apparitions. La musique de Angelo Francesco Lavagnino et Silvano Spadaccino accompagne merveilleusement bien les images et donne une touche poétique à des scènes pourtant bien cruelles. 

Sombre, âpre, très nihiliste et jusqu’au-boutiste, Beatrice Cenci - Liens d'Amour et de Sang est vraiment un film phare dans la filmographie de Fulci et il mérite réellement d'être reconnu en tant que tel.




Stéphane ERBISTI

BATWOMAN (1968)

 

Titre français : Batwoman
Titre original : La Mujer Murcielago
Titre alternatif : Batwoman l'Invincibile Superdonna
Réalisateur : René Cardona
Scénariste : Alfredo Salazar
Musique : Leo Acosta
Année : 1968
Pays : Mexique
Genre : Super-héros
Interdiction : /
Avec Maura Monti, Roberto Cañedo, Héctor Godoy, David Silva, Armando Silvestre...


L'HISTOIRE : Un savant fou décide ce créer un être mi-homme, mi-poisson, en se servant de la glande pinéale de lutteurs mexicains. Ces derniers sont retrouvés morts suite à l'opération et la police peine à remonter jusqu'au coupable. Sur place, Mario Robles décide d'appeler son amie justicière à la rescousse : Batwoman. Cette dernière va devoir affronter les hommes de main du docteur Eric Williams mais aussi sa curieuse créature...


MON AVISEntre 1966 et 1968, la série télévisée Batman, avec Adam West dans le rôle du justicier masqué, est très populaire. Il n'en fallait pas plus pour que des copies fleurissent sur les écrans et c'est au Mexique qu'on trouve la plus curieuse et divertissante variation des aventures de l'homme chauve-souris avec Batwoman de René Cardona. On pourrait penser que cette Batwoman mexicaine s'inspire également du personnage de Batgirl, qui apparaît dans la série télévisée en 1967 sous les traits d'Yvonne Craig. Mais les couleurs de son costume, notamment quand elle s'adonne à sa discipline favorite sur un ring ou en salle de sport, à savoir la lutte (ou le catch), ne trompe pas : costume gris, ceinture jaune, cape et masque bleu : tout l'attirail d'Adam West !

J'ai précisé sur un ring ou en salle de sport car la séduisante justicière oublie de mettre son costume gris quand elle part en mission et se retrouve uniquement affublé d'un slip, d'un soutien-gorge, d'une cape et d'un masque bleu, ce qui, vous vous en doutez, ne posera aucun souci à la gent masculine qu'elle croisera durant ses aventures, ni aux spectateurs d'ailleurs ! Il faut dire que cette drôle de Batwoman est interprétée par la charmante Maura Monti, ex-mannequin italien devenue actrice. Une brune sculpturale, qui a la particularité de se promener parfois sans son masque et de nous faire profiter de son joli visage, ce que ne font jamais les autres super-héros mexicains tels Santo, Blue Demon ou Mil Mascaras.

Ce qui est très sympa dans Batwoman, c'est que ce film de René Cardona, réalisateur à la filmographie impressionnante de plus de 140 titres à son actif, mélange plusieurs genres : vous voulez de l'aventure, avec de jolis paysages et plein de séquences sous-marines ? Vous en aurez ! Vous voulez de l'action, avec des bagarres et des courses-poursuites en voitures ? Vous en aurez ! Vous voulez de l'espionnage, avec de l'infiltration dans le repaire des méchants et utilisation de quelques gadgets façon James Bond ? Vous en aurez ! Vous voulez de la science-fiction, avec un savant aussi fou que le docteur Frankenstein, un assistant prénommé Igor et des expériences médicales dont le but est de créer des monstres amphibies destinés à gouverner le monde ? Vous en aurez ! Vous voulez voir une charmante demoiselle en bikini bleu être au prise avec de méchants machos ou faire face à une créature monstrueuse ? Vous y aurez droit aussi ! Le tout dans une ambiance kitsch à souhait, fun et colorée ! Que demandez de plus ?

Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à voir un chef-d'oeuvre du cinéma avec Batwoman mais ça, vous vous en seriez doutés. C'est un pur film Bis qui ne se prend jamais au sérieux et en donne pour son argent aux amateurs de films psychédéliques qui n'ont pas peur d'en faire trop. Si les scènes de bagarres sont un peu mollassonnes, il faut bien le reconnaître, l'aventure surréaliste proposée par René Cardona et Maura Monti vaut son pesant de cacahuètes. 

Si la tenue ultra sexy de Batwoman est pour beaucoup dans le plaisir ressenti à la vision du film, les expériences du scientifique fou ne sont pas en reste. Bien après L'étrange Créature du Lac Noir mais bien avant Le Continent des Hommes-Poissons, le mad doctor du film nous offre une bien jolie créature marine, certes pas mal caoutchouteuse puisqu'il s'agit d'un acteur dans une combinaison, mais au look très réussi, façon homme-homard sans les pinces mais avec pas mal d'écailles. La naissance de ce craignos monster ne s’embarrasse guère de réalisme, tout comme le reste du film d'ailleurs, et c'est bien ce qui fait tout le charme de cette production mexicaine. 

Il faudrait être sacrément difficile pour bouder son plaisir, mais je pourrais comprendre que ceux qui ne jurent que par les films d'auteurs soient un peu déstabilisés devant les exploits de cette Batwoman ! Pour les autres, n'hésitez pas à prendre part à cette aventure bien délirante.




Stéphane ERBISTI

LE BARON DE LA TERREUR (1962)

 

Titre français : Le Baron de la Terreur
Titre original : El Baron del Terror
Réalisateur : Chano Urueta
Scénariste : Federico Curiel, Antonio Orellana, Alfredo Torres Portillo
Musique : Gustavo Cesar Carron
Année : 1962
Pays : Mexique
Genre : Monstre
Interdiction : /
Avec : Abel Salazar, David Silva, Adriana Welter, German Robles, Luis Aragon...


L'HISTOIRE En 1661, le Baron Vitelius d'Astara est condamné par le tribunal de la Sainte Inquisition à être brûlé vif sur la place publique, pour sorcellerie, nécromancie, acte de dépravation et d'autres motifs encore. Lors de son exécution, une comète traverse le ciel et le Baron lance une malédiction sur la descendance de ses bourreaux. 300 ans plus tard, en 1961, une comète traverse le ciel et s'écrase sur terre, redonnant vie au Baron. Son apparence est celui d'une hideuse créature, mais ses pouvoirs lui permettent d'apparaître sous ses anciens traits humains. Le Baron va se mettre en chasse de la descendance des Inquisiteurs…


MON AVISEl Baron del Terror ! Un titre mythique, que les fans de cinéma fantastique mourraient d'envie de voir, après en avoir découvert des images dans des revues ou magazines.

Le film est réalisé par Chano Urueta, un réalisateur mexicain très actif puisque sa filmographie comporte plus de cent films, de genre aussi divers et variés que le polar, le film d'aventure, le mélodrame, le western. Et bien sûr, le cinéma fantastique est présent également. On lui doit également le premier film mettant en scène des catcheurs avec La Bestia Magnifica en 1952. Chano Urueta a également été acteur, on a pu le voir dans La Bataille de San Sebastian, La Horde Sauvage ou dans Apportez-moi la Tête d'Alfredo Garcia par exemple. Il a également assuré les fonctions de scénariste et de producteur. Une carrière bien remplie comme on peut le constater. Chano Urueta est mort le 23 mars 1979.

Dans Le Baron de la Terreur, on retrouve des têtes bien connues du cinéma fantastique mexicain, puisqu'il y a des acteurs comme German Robles (Les Proies du Vampire, Le Retour du Vampire), Adriadna Welter dans un petit rôle, et l'incontournable Abel Salazar, producteur et acteur de nombreux films. Il se réserve d'ailleurs dans Le Baron de la Terreur le rôle principal, celui du terrible Baron Vitelius d'Astara. L'amateur pourra également reconnaître le réalisateur René Cardona, dans un double rôle, celui de l'inquisiteur Balthasar Meneses et de son descendant Luis Meneses. Un autre réalisateur fait une apparition dans le film sous les traits du policier Bennie, il s'agit de Federico Curiel, bien connu des amateurs de films mettant en scène le catcheur Santo. Bref, un casting plutôt sympa pour un film qui ne l'est pas moins, même si au final, on pouvait s'attendre à plus de délire.

En effet, le film reste très classique, un peu répétitif même dans ses actions, et on en ressort pas vraiment déçu, mais pas super enthousiasmé non plus. Ça partait plutôt bien pourtant, avec une séquence d'introduction se déroulant au temps de l'Inquisition, dans un tribunal où l'on juge le sinistre Baron interprété par Abel Salazar. L'acteur donne dans l'interprétation sobre, presque hautaine même, ce qui correspond bien à son personnage. L'exécution sur la place publique nous fera sourire car le décor ne trompe personne, tout se passe en studio mais cela confère au film une petite touche d'étrangeté bienvenue, notamment quand le Baron scrute tranquillement le ciel et aperçoit la comète, alors que les flammes sont censées le brûler vif. Pas une expression de douleur, rien ne vient troubler son flegme, alors que le commun des mortels serait en proie à une crise d'hystérie due à la souffrance. Mais le Baron n'est pas une personne comme les autres…

Une fois de retour sur terre, les actions du Baron venu réclamer vengeance sur la descendance des Inquisiteurs sont certes irréalistes et feront la joie des spectateurs de par le look du monstre et de sa méthode pour les tuer, mais il faut bien reconnaître que c'est à chaque fois la même chose, le même procédé et ça devient un peu lassant à la longue. Mais bon, rien de bien méchant non plus, le film se laisse suivre avec plaisir quand même, mais on aurait aimé un peu plus de rythme et des séquences moins répétitives.

Malgré ces petits défauts, le film saura néanmoins satisfaire l'amateur de séquences farfelues et ce sont celles-ci qui resteront dans les mémoires. On commence tout d'abord avec le look du Baron revenu sur terre après 300 ans. Quand il n'apparaît pas sous sa forme humaine, le Baron est un horrible monstre, avec une coupe de cheveu proche d'une crinière, des oreilles plus longues que celles de Mr. Spock, un nez digne des plus belles sorcières de conte, un visage qui gonfle et se dégonfle sans cesse, comme pris par des spasmes incessants, et une langue très longue, semblable à celle des serpents. N'oublions pas ses mains, qui sont en fait deux sortes de tentacules formant une sorte de pince. Bref, un pur look de craignos monsters, qui restera sans soucis dans les annales des monstres bizarroïdes !

Autre singularité du Baron, sa technique pour tuer ses victimes. Il aurait été dommage d'avoir une si belle langue et de ne pas s'en servir. Le scénariste n'a pas omis d'utiliser cet attribut et notre Baron va donc enfoncer sa langue dans le cou de victimes afin de leur aspirer le cerveau ! Et oui, vous avez bien lu, notre Baron se nourrit de cerveaux humains ! Bon, OK, sa langue fait très plastique mais franchement, on s'en fout, parce qu'on jubile bien devant son écran. Ah oui, autre détail intéressant, notre Baron est un peu comme un vampire, il possède un regard hypnotique qui lui permet d'immobiliser ses proies. Pour bien nous faire comprendre que ce pouvoir est en marche, on éclaire les yeux d'Abel Salazar. Crise de rire assurée !

Mais le plus étrange reste à venir. Qui oubliera ces scènes hallucinantes où le Baron, invitant les descendants de ses bourreaux dans sa demeure, refuse de boire des boissons alcoolisées mais va discrètement manger à la petite cuillère de la masse encéphalique qui repose dans une grande coupole, elle-même cachée dans un coffre. On ne saura jamais pourquoi il fait ça, mais niveau étrangeté, on atteint des sommets ! Z'ont bien l'esprit tordu ces Mexicains !

Le Baron de la Terreur est donc un film plutôt sympathique à visionner mais qui est précédé d'une solide réputation qui s'effrite quelque peu à sa vision, la faute à un petit manque de rythme, à la présence de deux policiers qui font dans le comique bien lourd et pas très intéressant, et à des scènes répétitives qui ponctuent l'ensemble du métrage. Mais bon, rien que le personnage du Baron vaut le détour, de même que sa curieuse manie de dévorer de la cervelle. Un monstre atypique, comme on aimerait en rencontrer plus souvent et qui rend indispensable la vision du film !




Stéphane ERBISTI

LE BAL DES VAMPIRES (1967)

 

Titre français : Le Bal des Vampires
Titre original : Dance of the Vampire
Titre Alternatif : The Fearless Vampire Killers
Réalisateur : Roman Polanski
Scénariste : Roman Polanski, Gérard Brach
Musique Christopher Komeda
Année : 1967
Pays : Angleterre, Usa
Genre : Vampire, comédie fantastique
Interdiction : /
Avec : Jack Gowran, Roman Polanski, Sharon Tate, Alfie Bass, Ferdy Maine...


L'HISTOIRE Un traîneau des anciens temps serpente à travers les vallées enneigées de la Transylvanie subcarpathique. A son bord, trois personnes, dont un conducteur du pays et deux passagers étrangers : le Professeur Abronsius, vieux vampirologue chétif et transi, et son assistant candide et trouillard, Alfred. Ce dernier constate avec stupeur qu'une meute de loups affamés s'est lancée à leurs trousses. Et face à la léthargie de ses compagnons de voyages, c'est tout seul qu'il va devoir se résoudre à défendre leur traîneau. Plus tard, arrivés à l'auberge Shagal, on débarque et dégèle prestement le Professeur Abronsius, qui dès son réveil remarque la quantité impressionnante de gousses d'ail suspendues ça et là en chapelets dans l'auberge. Ses questions sur la présence éventuelle d'un château dans les alentours ne reçoivent pour réponse que silence et grossières pitreries. Installés dans leur chambre, Abronsius et Alfred font alors la connaissance de Sarah, la fille de l'aubergiste, en train de prendre son bain. Alfred tombe aussitôt sous son charme et voilà bientôt que la jeune femme est enlevée sous leurs yeux par l'abominable vampire de la région, Von Krolok…


MON AVISDes générations de spectateurs de tous les âges poussent un râle d'admiration dès que l'on prononce le titre de ce film. Aussitôt des images resurgissent et s'échangent, innombrables et colorées, effrayantes et comiques. Les langues se délient, les évocations pleuvent : le bal du cinéphile commence. Étonnant pouvoir de séduction et d'inspiration pour un film connu jusqu'à aujourd'hui dans une version producteur de 102 minutes, désavouée par le réalisateur lui-même, et dont l'un des titres originaux (Les Intrépides Tueurs de Vampires) a été traduit et trahi pour ne désigner que sa scène finale. Le sous-titre lui-même (Pardon me, but your teeth are in my neck, autrement dit Pardon, mais vos dents sont dans mon cou) est le fait du producteur, et Polanski le déteste.

La ferveur irrévérencieuse de Polanski a été telle que le plaisir pris à tourner et raconter son histoire a toutefois résisté aux mutilations. Sa double volonté de respecter et de parodier le genre (essentiellement les Dracula de la Hammer, qu'il avait regardé au cinéma avec passion et ironie) s'illustre merveilleusement. Voilà un univers gothique extraordinairement rendu et richement coloré, où rien ne manque (décors baroques à la fois somptueux et sales, crucifix, crocs, capes, chandeliers, cercueils, alcôves, etc), et où Polanski parvient à introduire la particularité du petit peuple juif polonais, notamment au travers des truculents personnages de l'auberge Shagal (nom qui doit évoquer Chagall, peintre également attaché à mêler réalisme populaire et féerie des couleurs). Le tout accompagné d'une musique de Komeda qui, elle aussi et dès le générique, dégage un mélange indissoluble de charme effrayant et de douce moquerie (on peut imaginer qu'à chaque fois qu'il regarde ce film, Danny Elfman se mord les doigts de ne pas être né plus tôt !)

A mille lieues des blockbusters actuels genre Van Helsing, Le Bal des Vampires nous envoûte sans la moindre débauche d'effets spéciaux, juste par la magie d'une atmosphère et d'une mise en scène impeccable, d'un jeu d'acteurs parfait et d'un scénario-type qui prend un malin plaisir à suivre tous les codes du genre pour systématiquement y contrevenir (Intrépides tueurs de vampire, en effet !).

La caméra de Polanski excelle de virtuosité mais aussi de sobriété, tant ses cadrages et ses mouvements, parfois très libres, se placent avec justesse dans la situation, l'émotion ou la signification d'une scène. Aucune esbroufe, rien que du talent, avec un comique en filiation directe avec celui de Molière ou de Charlie Chaplin et Buster Keaton (d'où les savoureuses accélérations cinétiques).

Les personnages du vampire, du vampirologue, de son assistant (Polanski lui-même), de la jeune victime, de l'aubergiste (magnifique Sharon Tate, future femme de Polanski qui finira assassiné par la Famille de Charles Manson en 1969) sont tous interprétés avec une conviction aussi cocasse qu'émouvante. Qui ne voudrait pas rencontrer le Professeur Abronsius et le serrer dans ses bras (ou lui hurler dans les oreilles), enlacer Sarah Shagal (ou la gifler), s'en payer une tranche avec son obsédé de père (ou le battre), ou partager ses trouilles avec le jeune Alfred (ou l'encourager) ?

Si Polanski retient un élément des Dracula de la Hammer sans trop l'écorner, c'est certainement l'érotisme (pensons particulièrement aux Maîtresses de Dracula). Rien de débridé, non, mais une sensualité troublante se dégage de ce monde gothique et féerique. Face au regard candide des deux chasseurs de vampires, aussi purs que les étendues de neige, la jeune Sarah, au bain ou en corsage, le fils de Von Krolock, vampire homosexuel séducteur, l'aubergiste Shagal, obsédé par sa jeune servante, diffusent un tension sexuelle à la fois sourde et envahissante, qui se combine avec bonheur à l'univers vampirique et distance par avance toute tentation romantique (la scène finale, à ce sujet, est très claire : le sexe et la mort, pas l'amour et la vie). Un paradoxe, quand on songe que l'histoire d'amour entre Roman Polanski et Sharon Tate commença sur le tournage du film !

L'édition uncut du DVD, espérons-le, avec ses vingt minutes d'inédit, pourra être l'occasion de nous enivrer un peu plus. Elle pourrait également permettre de répondre à certains flous narratifs dus aux coupures du producteur, et qui, on le comprend, ont paru catastrophiques pour Roman Polanski. Par exemple, pourquoi Sarah accepte-t-elle si docilement son sort ? Que devient le fils de Von Krolock au moment du bal ? Pourquoi le Professeur Abronsius, jusque-là pratiquement autiste et uniquement obsédé par ses théories, s'implique-t-il soudain avec tant d'intérêt dans le sauvetage de Sarah ? Questions qui n'ont jamais empêché ce film de devenir culte, mais dont on attend les réponses avec une impatience réjouie.




Stéphane JOLIVET

LES 3 VISAGES DE LA PEUR (1963)

 

Titre français : Les 3 Visages de la Peur
Titre original : I tre Volti della Paura
Réalisateur : Mario Bava
Scénariste : Marcello Fondato, Alberto Bevilacqua, Mario Bava, Ugo Guerra 
Musique : Robert Nicolisi
Année : 1963
Pays : Italie, Usa, France
Genre : Film à sketches
Interdiction : -12 ans
Avec : Michele Mercier, Lydia Alfonsi, Jacqueline Pierreux, Milly Monti, Boris Karloff...


L'HISTOIRE : Boris Karloff en personne vient jouer le maître de cérémonie afin de nous présenter les trois histoires qui vont suivre. Tout d'abord, Le Téléphone, huis-clos oppressant dans lequel une jeune femme est harcelée au téléphone par un inconnu qui la menace de la tuer. Ensuite, Les Wurdalaks, une sombre histoire de vampires errant dans la lande où vit recluse une famille de paysans, dans la Russie du XIXème siècle. Enfin, La Goutte d'eau, où une infirmière venue au chevet d'une vieille femme mourante va regretter de lui avoir dérobé sa bague...


MON AVISMario Bava a réalisé dès 1960 un véritable chef-d'oeuvre du cinéma d'épouvante avec Le Masque du Démon. Il délaisse pourtant ce genre pour ses films suivants, se consacrant au drame historique (Esther et le Roi - 1960), au film féerique (Les mille et une nuits - 1961), au péplum fantastique (Hercule contre les Vampires - 1961), au film d'aventure épique (La ruée des Vikings - 1961) et au thriller (La Fille qui en Savait trop - 1963). C'est en 1963 qu'il revient au cinéma d'épouvante et de quelle manière mes aïeux ! Avec Les 3 Visages de la Peur et surtout Le Corps et le Fouet, Mario Bava livre deux œuvres qui feront date dans le cœur des cinéphiles amateurs de frissons gothiques. Ces deux films sont des commandes de producteurs italiens qui veulent surfer sur le succès des films américains de Roger Corman. Ce dernier a réalisé L'Empire de la Terreur en 1962, un film à sketchs inspiré de trois récits d'Edgar Poe. On propose donc à Mario Bava de faire de même et de proposer un film à sketchs dont les histoires proviendraient d’œuvres littéraires. Si Les Wurdalaks proviennent bien du romancier Tolstoï, Le Téléphone et La Goutte d'Eau sont attribués à Guy de Maupassant et Anton Chekhov au générique, ce qui s'est avéré totalement faux après que des spécialistes se soient penchés sur le film. Peut-être les histoire se sont-elles inspirées de ces auteurs ? Pas bien grave de toute façon, l'intérêt du film n'étant pas de savoir si le matériau d'origine a bien été respecté au niveau de l'adaptation.

Qui dit film à sketchs dit généralement un fil conducteur entre les récits proposés. Ce fil conducteur apparaît ici en la personne de Boris Karloff lui-même, le film de Bava étant un coproduction Italo-américano-française. Le célèbre acteur apparaît dès le début comme étant le présentateur des futurs cauchemars qu'on va découvrir et, ce serait le seul point négatif du film, il est dommage que Bava ne l'ait pas fait réapparaître entre chaque récit. Car une fois lancée, les trois sketchs s'enchaînent sans interruption aucune et ça aurait été plutôt sympa de revoir Karloff nous faire une petite présentation de chaque histoire. Il faut savoir que l'ordre des sketchs des 3 Visages de la Peur a été modifié en fonction du pays où le film a été projeté. L'ordre retenu ici est celui voulu par Bava, et qui apparaît comme étant logique puisqu'il propose une montée croissante de la peur, qui reste le thème principal du film et des histoires. 

On commence donc avec Le Téléphone, qui est plus dans un registre policier / suspense, avec une magnifique Michelle Mercier en femme apeurée. Seule dans son appartement, la célèbre actrice de la saga Angélique se voit continuellement harcelée au téléphone par une voix inquiétante et surtout menaçante, qui lui prédit une mort certaine et ce, des années avant Terreur sur la ligne ou Scream ! Le téléphone rouge, inerte, devient ici un objet focalisant la peur de son héroïne et Bava se régale de son huis-clos où chaque nouvelle sonnerie fait monter la tension. L'arrivée d'une amie de l'héroïne, dont on suppose qu'elles ont entretenues une relation lesbienne, fait progresser encore plus le suspense, surtout que le spectateur possède une indication que Michelle Mercier n'a pas et ça, c'est très malin de la part de Bava. La mise en scène est bonne, le jeu sur les lumières et les couleurs également. L'histoire en elle-même n'est pas extraordinaire, de même que le twist, un peu léger mais pour débuter le film, ça fait le job. Un récit qui aurait pu provenir des BD EC Comics du style Crime SuspenStories ou Shock SuspenStories par exemple.


La seconde histoire délaisse l'aspect policier pour se plonger pleinement dans le gothique et l'épouvante. Adaptation très fidèle au récit de Tolstoï, Les Wurdalaks bénéficie en plus de la présence de Boris Karloff en tant qu'acteur. L'histoire nous met face à de vieilles légendes paysannes concernant des vampires, surnommés les Wurdalaks, et qui ont la particularité de sucer les sang des personnes qu'ils aiment profondément. La petite famille du récit attend le retour du patriarche, joué par Karloff, qui est parti depuis cinq jours. On sent une réelle tension au sein de la famille, ayant peur que leur père ne soit devenu un Wurdalak. Un touriste de passage s'invite dans l'humble demeure et tombe sous le charme d'une des filles présentes, Sdenka, interprétée par la charmante Susy Andersen. Le retour du père laisse planer le doute quand à sa véritable nature et Bava fait progresser son récit et l'épouvante qui en découle par petites touches, soignant les décors et son jeu de couleurs comme un artiste peintre virtuose. Dire qu'esthétiquement et visuellement cette histoire est d'une beauté picturale à damner un saint n'est pas exagéré. Ce récit, qui a la durée la plus longue des trois histoires, se suit sans ennui aucun et peut aisément se ranger au côté des plus belles œuvres de la firme anglaise Hammer Films.


Le troisième sketch, La Goutte d'Eau, verse lui aussi dans l'épouvante mais de manière plus réaliste, enfin, façon de parler. Plus réaliste de par les lieux de l'action en fait. Ici, point de village abandonné dans les landes brumeuses ou de vieux châteaux inquiétants. Nous sommes juste dans l'appartement d'une dame âgée qui vient de décéder et dont son infirmière va devoir s'occuper. Admettons que le visage de la morte est absolument terrifiant, croisement entre une momie et donc une dame âgée au sourire carnassier et aux yeux troubles. On apprendra de sa domestique qu'elle faisait souvent des séances de spiritisme. Est-elle morte suite à une de ses séances ou a-t-elle eu simplement une crise cardiaque comme l'a suggéré son médecin ? Mystère. Après avoir habillée la défunte, l'héroïne de l'histoire, jouée par Jacqueline Pierreux, ne peut s'empêcher de dérober la bague de valeur que portait la morte au doigt. Un acte blasphématoire, qui va avoir de solides et angoissantes répercussions sur elle. Le vol de la bague s'accompagne de suite par un bruit de goutte d'eau provenant de diverses sources d'approvisionnement en eau : robinet de lavabo, robinet de douche, verre qui goutte et j'en passe. Une fois de retour chez elle, l'infirmière s'aperçoit que le bruit de ces gouttes d'eau est présent également dans son appartement. S'ensuit des apparitions spectrales de la défunte qui font monter le potentiomètre de la peur à un bon niveau de stress chez le public et surtout chez l'héroïne. Ces bruits, ses apparitions sont-elles réelles ou bien est-ce la culpabilité du vol de la bague qui la travaille ? A vous de le découvrir ! La Goutte d'Eau est lui aussi une pure merveille visuelle qui ravit nos yeux comme jamais. Boris Karloff fait son retour pour clôturer le film, avec une touche d'humour bienvenu !

Si les trois récits n'ont pas la même qualité, chose récurrente dans les films à sketchs, ils remplissent néanmoins le contrat et aucun n'est raté ou vraiment en deçà des autres, ce qui est aussi une réussite du film. Les 3 Visages de la Peur (qui aurait pu être quatre apparemment, un sketch, tourné mais jamais monté, ayant été écarté par la production et définitivement perdu malheureusement) est un film important pour Bava, qui prouve ici son incroyable talent visuel mais aussi de conteur, qu'il mettra encore plus à profit dans ses œuvres suivantes. Un film à savourer et à déguster ! 




Stéphane ERBISTI

6 FEMMES POUR L'ASSASSIN (1964)

 

Titre français : 6 Femmes pour l'Assassin
Titre original : 6 Donne per l'Assassino
Réalisateur : Mario Bava
Scénariste : Giuseppe Barilla, Mario Bava et Marcello Fondato
Musique : Carlo Rustichelli
Année : 1964
Pays : Italie, France, Allemagne
Genre : Giallo
Interdiction : -16 ans
Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, Ariana Gorini, Mary Arden...


L'HISTOIRE : Un mystérieux assassin commet des meurtres sauvages sur les mannequins d’une célèbre agence de haute couture. La police mène l’enquête...


MON AVIS1960. Mario Bava révolutionne le monde de l’épouvante gothique à l’italienne avec Le masque du Démon, mettant en vedette la splendide Barbara Steele.

1963. Mario Bava réalise La fille qui en savait trop, un thriller italien qui commence à poser les fondements de ce qu’on appellera par la suite le giallo. La même année, outre Le Corps et le Fouet, il tourne Les Trois Visages de la Peur, dont le premier sketch intitulé Le Téléphone joue également avec ce qui deviendra les codes du genre du giallo.

1964. Mario Bava reprend les recettes de ses deux films de 1963, les actualise, les modernise, se lâche dans des décors baroques, joue avec les couleurs et pose véritablement les bases du giallo, mettant en scène dans une banale enquête policière un assassin entièrement vêtu de noir, ganté, portant un masque et commettant ses crimes de différentes manières. Violence, sadisme, jolies filles, meurtres et whodunit se combinent avec une alchimie parfaite dans son  6 Femmes pour l’Assassin, œuvre phare, référence absolue pour qui aime le giallo. Pourtant, le film, coproduction Italo-franco-allemande dont le tournage dura six semaines (sic !), ne connut guère un grand succès à l’époque de sa sortie et le genre qu’il fit naître ne décolla vraiment qu’avec la sortie de L’Oiseau au Plumage de Cristal de Dario Argento en 1970. 6 Femmes pour l’Assassin est pourtant une pièce maîtresse du genre, nouvelle preuve du génie de Mario Bava dont la filmographie ne cessera d’influencer les futures générations de réalisateurs.

Dès le générique, Bava surprend son monde par son inventivité. Le nom des acteurs et des actrices vient se superposer sur une image les présentant immobiles, tels des statues, comme autant de photographies avec mise en scène. Le début de l’œuvre ne sera pas non plus sans nous rappeler un certain Suspiria, qui ne débarquera qu’en 77 et qui, pourtant, entretient un étroit rapport pictural avec le film de Bava, tant au niveau des décors que du jeu de lumière fortement coloré, qui plongent chaque séquence de ces deux films dans une ambiance fantasmagorique. Par une nuit orageuse, un jeune mannequin regagne l’immense demeure de la Comtesse Christina Como, devenue une luxueuse maison de haute couture. Alors que la jeune femme tente de gagner rapidement la porte malgré un vent assez violent, la voilà qui se fait agresser par un mystérieux personnage, vêtu d’un imperméable noir, ganté, portant un chapeau et une sorte de masque sur le visage, le rendant méconnaissable. La figure récurrente du giallo dans toute sa splendeur vient d’apparaître pour la première fois sur un écran de cinéma. Un look qui fera date et qui se fera même parodier dans le moindre détail dans la série de films érotico-gore des Fantom Kiler. Mario Bava laisse libre court à son imagination, ne se refuse rien, ne se censure pas, et fait baigner son film dans une atmosphère assez érotique, puisque chaque meurtre nous détaillera les soutiens-gorge ou bas de jarretelles que portent ces demoiselles.

Des meurtres au nombre de six bien sûr, qui se révéleront tous originaux, la mise à mort étant à chaque fois différente. Un procédé que nous retrouverons également dans les futurs slashers movies, dont Mario Bava sera encore une fois l’un des précurseurs avec son fameux La Baie Sanglante en 71. Mais revenons à 6 Femmes pour l’Assassin et à notre tueur. Le second meurtre, toujours baigné dans une atmosphère morbide et fantasmatique, avec des lumières rouges, vertes, violettes, nous dévoilera un curieux instrument, une sorte de gant d’acier pourvu de trois crochets, et qui restera la marque de fabrique du film, l’arme dont tous les spectateurs se rappellent malgré le fait qu’elle n’apparaisse qu’une seule fois dans le film. Notre tueur, froid et déterminé, nous gratifiera par la suite d’autres joyeusetés, comme un visage brûlé, une noyade dans une baignoire ou un étouffement à l’aide d’un coussin par exemple. Des meurtres savamment orchestrés, presque artistiques parfois, et on ne cherchera plus la source d’inspiration de Dario Argento, qui a magnifié ce que Bava avait instauré avec ses films.

Notons que 6 Femmes pour l’Assassin a connu deux montages. Une version censurée et une version intégrale donc. La violence montrée dans le film fera bien sûr sourire à notre époque et on se demandera quel était l’intérêt de couper certaines images tant elles apparaissent soft pour le spectateur contemporain. Car en plus de priver le spectateur des images les plus sanglantes (toute proportion gardée bien sûr), certaines coupures se révéleront carrément handicapantes car privant le spectateur de la logique suivie par le tueur. Le meurtre de la cinquième victime se verra, par exemple, privé d’une scène capitale, celle où le tueur sectionne les veines de sa victime au rasoir, afin de faire croire que cette dernière s’est suicidée. Sans cette séquence, l’histoire perd de sa logique. La coupe la plus marquante restant, quant à elle, la disparition pure et simple de la scène où le tueur sort de sa poche son gant d’acier griffu. Hop, aux oubliettes l’arme culte. Inutile de dire que ce montage cut est totalement à oublier et que seul le montage intégral rend justice au travail de Bava et de son équipe.

Outre ses meurtres diaboliquement stylisés, l’autre force du film est bien sûr la réalisation même de Bava. Mélangeant gothique et modernisme, jouant avec habileté sur le suspense, la terreur, la peur, chaque décor, chaque pièce devient ici un potentiel lieu de mort, d’où le tueur peut surgir à chaque instant. Escaliers, corridors, espaces labyrinthiques, miroirs, Bava joue avec l’espace, avec les perspectives, avec les objets présents dans les différents lieux pour faire naître une angoisse palpable qui terrorisera les futures victimes. Sa caméra se place toujours là ou il faut, faisant se hisser à un très haut niveau un film dont le scénario n’a rien d’extraordinaire.

En effet, d’un point de vue scénaristique, 6 Femmes pour l’Assassin reste d’une facture assez classique. L’enquête policière est sobre, conventionnelle mais grâce au talent de Bava, elle prend une tournure bien plus intéressante qu’elle ne l’est et permet aux spectateurs de ne jamais décrocher et de rester attentif à tous les détails qui pourraient permettre d’en savoir plus sur le tueur et ses motivations.

Habile, le réalisateur s’amuse également à brouiller les pistes et fait de tous les hommes présents dans la maison de haute couture des tueurs potentiels. Chacun d’entre eux semble en effet avoir quelque chose en commun avec Isabella, la première fille assassinée et la découverte surprise de son journal intime semble bien les inquiéter. Tous comme certaines demoiselles également, qui semblent bien décidées à découvrir ce qui peut bien être écrit sur les pages de ce recueil. Ce journal intime, mis dans un sac à main, nous donnera l’une des meilleures séquences du film, séquence où ce sac devient l’objet de toutes les attentions et où la caméra de Bava devient presque le sac à main lui-même. Et donc, les yeux des spectateurs. C’est techniquement et artistiquement admirable.

Niveau casting, les personnages principaux sont campés avec prestance par un excellent trio, Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, trio auquel vient s’ajouter les nombreuses actrices et acteurs interprétant les mannequins et les hommes travaillant dans la maison de haute couture, qui livrent tous une prestation de bonne qualité, parachevant de faire de 6 Femmes pour l’Assassin une œuvre formelle et importante, qu’il faut redécouvrir toute affaire cessante.

Véritable tour de force stylistique juxtaposant chorégraphie meurtrière, jeu de lumière vertigineux et sadisme prononcé, 6 Femmes pour l’Assassin, malgré le poids des années, reste une œuvre phare et magistrale de son réalisateur. Mario Bava prouve une fois de plus qu’il était en avance sur son temps et son talent et son énergie à tenter des choses nouvelles, à expérimenter, donne une fois de plus une œuvre intense, raffinée, qu’on ne se lasse pas de voir et de revoir. Un film phare du cinéma italien.




Stéphane ERBISTI

2001 : L’ODYSSÉE DE L'ESPACE (1968)

 

Titre français : 2001 l'Odyssée de l'Espace
Titre original : 2001: A Space Odyssey
Réalisateur : Stanley Kubrick
Scénariste : Stanley Kubrick, Arthur C. Clarke
Musique : Richard Strauss, Johann Strauss fils, György Ligeti
Année : 1968
Pays : Angleterre, Usa
Genre : Science-fiction
Interdiction : /
Avec :  Keir Dullea, Gary Lockwood, William Sylvester, Daniel Richter, Leonard Rossiter…


L'HISTOIRE A l'aube de l'Humanité, dans le désert africain, une tribu de primates subit les assauts répétés d'une bande rivale, qui lui dispute un point d'eau. La découverte d'un monolithe noir inspire au chef des singes assiégés un geste inédit et décisif. Brandissant un os, il passe à l'attaque et massacre ses adversaires. Le premier instrument est né.
En 2001, quatre millions d'années plus tard, un vaisseau spatial évolue en orbite lunaire. A son bord, le Dr. Heywood Floyd enquête secrètement sur la découverte d'un monolithe noir qui émet d'étranges signaux vers Jupiter. Dix-huit mois plus tard, les astronautes David Bowman et Frank Poole font route vers Jupiter à bord du Discovery. Les deux hommes vaquent sereinement à leurs tâches quotidiennes sous le contrôle de HAL 9000, un ordinateur exceptionnel doué d'intelligence et de parole. Cependant, HAL, sans doute plus humain que ses maîtres, commence à donner des signes d'inquiétude : à quoi rime cette mission et que risque-t-on de découvrir sur Jupiter ?


MON AVIS : Des dizaines d'années après sa sortie, 2001 : l'Odyssée de l'Espace, reste une expérience sensitive hors du commun. D'un force, d'un beauté et d'une audace que le recul du temps rend encore plus prégnant. Éloge de la lenteur pour une symbiose parfaite entre l'image et la musique. Car peu de film ont eu autant d'échos et suscité autant de divergences d'approches. Livres, critiques, sites, avis, opinions, tout un flot de mots et de paroles s'entrechoquent pour décrire LA CHOSEPourtant, à y regarder de plus près, la structure narrative et le "message" que présente 2001 est globalement accessible sans avoir à se triturer le cerveau outre mesure. C'est plutôt dans la multiplication ébouriffante des détails et de l'interprétation personnelle que l'on peut en faire, que ce long métrage apparaît comme abstrait.

Structure en quatre parties (le début de l'humanité, mission Lune, mission Jupiter, Au-delà et l'infini), quatre apparitions du monolithe dans chacune des parties, quatre héros (singe, savant, ordinateur, foetus). Le tout étant toujours et constamment relié par les mêmes leitmotivs assurant la continuité et la permanence de l'être humain dans son désir d'évolution sous l’œil attentif de quelque chose, quelqu'un d'autre et de puissamment supérieur.

Une civilisation extraterrestre (proche de l'idée que l'on pourrait se faire de Dieu, omnipotent et omniscient, inaccessible aux capacités cognitives des pauvres terriens), représentée par le monolithe, permet à l'homme de démarrer véritablement son évolution en lui donnant la maîtrise de l'objet. Cependant pointent, déjà, deux légers problèmes qui vont être une constante chez l'homme : sa dépendance vis-à-vis des objets et sa capacité à la violence et aux meurtres (le primate utilisant rapidement sa nouvelle connaissance pour tuer ses congénères). Le monolithe par simple imposition des mains rend le singe-homme plus intelligent. On peut supposer (d'après les dialogues même du film) qu'à la même époque les E.T. enterrent un autre monolithe sur la lune. Une vigie, un guetteur, une sentinelle destinée à les prévenir dès lors que l'Homme aura atteint l'âge de l'ère spatial.

Après une expédition terrienne sur la Lune, le monolithe est découvert et jouant son rôle de gardien émet un puissant signal en direction des ET. (encore une fois cela est parfaitement clair dans le film, lorsque Bowman découvre, après avoir débrancher HAL l'ordinateur, un enregistrement dans lequel lui est révélé que le son émis par le monolithe lunaire était un message radio puissant en direction de Jupiter). On peut dès lors raisonnablement penser que la civilisation extraterrestres est donc là-bas.

Durant le voyage vers la cinquième planète en partant du soleil ( Jupiter pour ceux qui se serait déjà endormis.), le puissant ordinateur HAL semble développer des sentiments, une conscience de lui-même en tant qu'entité supérieur à l'Homme et de la même manière que ce dernier terrasse les espèces inférieurs depuis la nuit des temps dans un but de survie, HAL va vouloir en faire de même avec ces hommes bien trop faibles et futiles par rapport à lui.
L'Homme est dès lors dépassé par ses propres outils, symboles du fourvoiement et de l'impasse dans son évolution. Néanmoins il s'en sort par sa ruse et sa malice ancestrale.

Bowman en tant que représentant de l'humanité est alors accueilli par ces êtres dans une sorte de zoo humain, représenté par la chambre blanche ( endroit confortable et sécurisant par excellence) où après avoir contemplé les différents stades de sa vie future, on lui permet d'accéder à un nouveau stade de l'évolution. Fœtus astral destiné probablement à revenir sur sa planète d'origine porteur d'un nouvel espoir et d'un nouveau départ débarrassé de son addiction envers les outils et les machines.
Ainsi parlait Zarathoustra résonnant alors, renvoyant au mythe du surhomme Nietzschéen : Tu es le Premier et le Dernier, O Mazda, Toi, Père de la pensée bonne, Toi, le véritable instructeur de l'Ordre et de la Droiture, le Maître des manifestations de la Vie...
Voici, je vous enseigne le Surhomme. Le Surhomme est le sens de la terre. Que votre volonté dise : Que le Surhomme soit le sens de la terre.

D'ailleurs, dans une des rares sorties de Kubrick explicitant son film , il déclare : Un voyage intérieur et interstellaire... Plongé dans l'éternité, il passe de l'âge mur à la sénescence puis à la mort. Il renaît, sous la forme d'un être supérieur, un enfant étoile, un ange, un surhomme, si vous préférez, et revient sur terre, prêt pour le prochain bond en avant de la destiné évolutive de l'homme.
Peut-on faire plus clair ? Oui ? Non ? Je passe ? Envoyez vos commentaire et avis sur carte postale à l'adresse du site. Merci d'avance.

Avant d'aller plus loin, il est étonnant de constater que même si l'anticipation effectuée à l'époque marque parfois de fondamentales erreurs, elle reste crédible à l'écran et ne retire en rien le plaisir que l'on peut éprouver à sa vision.
Kubrick voulait réellement faire le film le plus proche possible de ce que serait le futur dans l'espace. S'étant attaché les services de plus grands connaisseurs et spécialistes de son époque sur le plan de la connaissance scientifique, effectuant des recherches directement à la NASA. Il livre donc au travers des connaissances les plus pointues de son temps, les attentes et croyances de ce qui aurait pu être et marqué par l'optimisme de la communauté scientifique d'alors.

On peut s'amuser à noter que l'on est aujourd'hui très loin de la maîtrise de l'espace décrite dans 2001. Pas de voyages interplanétaires, pas de vaisseau spatiaux à anti-gravitation, pas de base sur le Lune, envoyer des astro/spatio/cosmo/sinonautes sur une autre planète relève toujours du rêve et de la science-fiction. Étonnant aussi de constater combien il était apparemment impossible d'envisager l'incroyable miniaturisation de la taille des ordinateurs, lors de la fameuse scène ou Bowman efface la mémoire de HAL, celle-ci se trouve dans une immense salle alors qu'aujourd'hui elle tiendrait probablement sur une pièce de 1 Euro.
Néanmoins, le film tape juste (en plein dans le mille en fait) dans sa vision de l'addiction incroyable avec laquelle l'être humain peut se laisser aller à vivre par procuration au travers de ses multiples écrans. Ne sommes nous pas devenus en quelques décennies( du moins sur la partie de la planète dite développée) les esclaves de nos machines virtuelles et communicatrices ? Ne passons nous pas plus de temps à contempler le monde au travers de miroirs aux alouettes que sont la télévision, l'ordinateur, les écrans de téléphone portables, qu'à contempler directement les membres de notre propre espèce ? Une certaine déliquescence des rapports sociaux semblait déjà être une vision prophétique dans 2001, elle ne fait semble-t-il que s'accroître.

C'est aussi le film qui fit entrer la science-fiction à l'écran dans le domaine de l'âge adulte. Dorénavant un film de ce genre ne sera donc plus uniquement destiné aux enfants, adolescents et aux adultes présupposés en régression. Une autres SF est donc possible.

Mais tout cela serait vain sans l'émotion et le vertige intellectuel que dégage cette oeuvre à nulle autre pareille. Kubrick film chaque scène, chaque plan, comme si sa vie (et sa réputation) en dépendait. On sent dans ce film encore plus que dans ses précédents (et ce sera la marque du cinéaste par la suite) combien chaque détails comptent et sont intrinsèquement liés à l'histoire qu'il raconte. Impossible (et inutile d'ailleurs) de vouloir en faire liste, d'autres l'ont fait et le feront beaucoup mieux que je ne saurais jamais le faire.
Tentons plutôt d'en dégager modestement (très modestement) les grandes lignes qui en font un chef d'oeuvre cinématographique.

Construite comme une oeuvre lyrique mise en images, découpé comme telle (une introduction, un épilogue ouvert, un entracte même), 2001 : l'Odyssée de l'Espace est avant tout un long-métrage se déclinant sur le mode de l'adéquation totale entre la musique, les sons et ce que l'on voit à l'écran.

Les rares dialogues semblant n'être là que pour ne pas trop perdre le spectateur lambda., d'ailleurs ceux-ci sont fades, sans aspérités, à l'image du phrasé plat de l'ordinateur HAL. Le jeu des acteurs est ,de manière volontaire, banal et impersonnel, tout cela pour ne pas prendre le pas sur l'esthétique fondamentale voulue par Kubrick afin de transmettre les émotions voulues au travers d'un cinéma viscéralement elliptique symbolique, graphique et sonore.

Un pari risqué donc, que le réalisateur assume dès l'ouverture avec ses trois bonnes minutes d'écran noir surmonté par la musique macabre et intense de Gyorgy Ligeti, symbolisant l'aube de l'humanité entre peur et effroi, avant que ne résonne celle pleine d'espérance de Richard Strauss avec l'ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra et qu'il achève après la dernière ligne du générique de fin par le même écran noir et la totalité du Beau Danube bleu de Johann Strauss fils et son espoir fou d'une humanité meilleure. Le reste du métrage étant traversé de fulgurance où l'histoire de l'Homme est symphonisé par le talent d'un réalisateur hors du commun.

Profondément humain, tout en étant ironique, à mi-chemin entre le documentaire anticipateur et l'opéra filmique. Symbolique et grandiose, créant l'un des personnages les plus emblématiques d'une science fiction adulte au travers de HAL. Relevant encore plus de sa substance à chaque vision, 2001 : l'Odyssée de l'Espace ne peut décemment pas être considéré comme une oeuvre autre que celle à laquelle on peut accoler le titre de chef-d'oeuvre.




Lionel JACQUET