L'HISTOIRE : Angela, une élégante jeune femme, passe ses nuits à fantasmer sur sa sensuelle voisine Anna Maria, une diseuse de bonne aventure au charme envoûtant. Un soir, Angela retrouve son cadavre sauvagement mutilé. Sous le choc, elle brise accidentellement la boule de cristal de cette dernière. Un cristal qui a la réelle faculté de lire l’avenir. Mais saura-t-elle utiliser son nouveau don pour échapper à la mort violente qui lui est promise?
MON AVIS : Le giallo serait-il de retour dans nos contrées ? Alors qu'Amer sort bientôt sur les écrans de cinéma, voilà un film indépendant s'inscrivant lui aussi dans le genre giallesque et tourné par deux jeunes réalisateurs de Montpellier (là où les filles sont belles comme la mer dans le soleil couchant).
Non, le cinéma de genre made in France ne se résume pas à reprendre les bonnes vieilles recettes issues de la culture horrifique américaine et qui n'arrivent que rarement à la cheville des œuvres auxquelles elles rendent plus ou moins hommages. D'autres se tournent vers d'autres cieux. En l'occurrence ceux tourmentés et érotiques du giallo italien des années 70. Là où les femmes sont belles à se damner, les meurtres graphiquement soignés, les fantasmes récurrents et l'érotisme classieux. Blackaria est donc un giallo fantasmé et fétichiste, qui convoque autant les grands classiques du genre que l'horreur graphiquement plus intense d'un Lucio Fulci.
Si la volonté des auteurs de Blackaria est clairement de s'approprier les codes narratifs du giallo, de parsemer leur film de références à quelques scènes clefs et archétypes de ce genre (on y reviendra) , ils réussissent brillamment à éviter le piège de l'hommage servile et vain. Blackaria emprunte, mais ne copie pas, ou plutôt il se sert à foison de sa connaissance du giallo pour mieux la mettre au service de son atmosphère et de son intrigue. C'est un hommage certes, mais un hommage qui a sa vie propre.
Comme dans tout bon giallo qui se respecte, l'intrigue en elle-même n'a finalement que peu d'importance, elle n'est qu'un fil rouge destiné à relier entre elles la substantifique moelle du métrage, l'érotisme, l'onirisme et l'horreur. Blackaria pervertit donc le schéma habituel du whodunit, en ne se concentrant pas sur l'identité de l'assassin, mais sur la ritualisation des actes du meurtrier. Un spectacle qui donne toute latitude au voyeurisme du spectateur.
La fétichisation du corps de la femme, les rêves d'Anna qui s'entrechoquent avec la réalité, les nombreuses scènes de raffinement dans la cruauté, tout cela interpelle et ravit l'amateur de giallo. L'impression de retrouver une symbolique, un style que l'on a plus vus sur pellicule depuis des âges immémoriaux ou presque.
Bien entendu, les acteurs ne sont pas professionnels, certains s'en tirent mieux que d'autres, les dialogues sont un peu sur-écrits, l'enquête policière manque d'attrait également, c'est probablement le prix à payer de l'indépendance et d'un budget réduit à la portion congrue. Mais la sincérité de l'ensemble des participants ne saurait être mise en cause.
De manière consciente, les deux réalisateurs parsèment donc leur métrage de références évidentes à quelques grandes œuvres de la culture giallesque. On peut citer (de manière non exhaustive) Six Femmes pour l'Assassin, Torso, La Dame Rouge tua 7 fois, Ténèbres, et surtout une visible fascination pour l'oeuvre de Lucio Fulci La Longue Nuit de l'Exorcisme, Le Venin de la Peur mais aussi et bien que cela sorte du cadre strict du giallo La Guerre des Gangs ou encore L'au-delà. Imprégnés de ces films, les deux comparse les réinterprètent et les mettent au service de leurs propres lectures du genre.
Blackaria distille une atmosphère onirique qui renvoie expressément au grand Mario Bava et plus tard à Dario Argento. Pour pallier une certaine absence de moyens, la directrice de la photo Anna Naigeon (qui interprète également le rôle d'Anna Maria, la voisine libérée) joue la carte d'un certain vintage qui sied à merveille à l'ensemble. Photographie que l'on croirait tout droit sortie des années 70, recours substantiels à des éclairages colorés jaunes, bleus ou rouges, et travail exigeant sur la composition des cadres.
Les décors recèlent de nombreux détails sur lesquels la caméra s'arrête parfois, comme pour mieux arrêter le temps avant la mise à mort d'un protagoniste. Les miroirs et ce qui s'y passe de l'autre côté sont également utilisés de manière judicieuse, renforçant le caractère légèrement fantasmé de Blackaria. Du travail qui n'a bien souvent pas grand-chose à envier à celui d'une grosse équipe professionnelle.
David Scherer est un excellent maquilleur et il le prouve une fois de plus ici. Les nombreuses scènes de meurtres violents frappent là où ça fait mal : énucléation, rivière de larmes sanglantes, coups de couteaux, de rasoirs, tout cela culmine dans deux magnifiques séquences, l'une dans un ascenseur (utilisation du miroir, meurtrier masqué, rasoir et érotisme) et l'autre dans un sauvage moment où l'utilisation d'une grosse chaîne sur une pauvre malheureuse est excessivement douloureuse à regarder et rappellera aux aficionados une des célèbres scènes de "La Longue Nuit de l'Exorcisme, le giallo rural de maître Fulci.
Les auteurs ont également retenu l'autre versant des thrillers italiens des années 60-70, l'érotisme suggestif. Dans Blackaria, les femmes sont toutes plus belles les unes que les autres, elles sont fétichisés, voluptueuses, ne daignent pas non dévoiler quelques parties de leurs ravissantes anatomies. Bas noirs, habits sexys, objets meurtriers phalliques, nudités sulfureuses, poses affriolantes, jeux de transparence. Un érotisme qui sans jamais sombrer dans le graveleux et le vulgaire, parvient in fine à refléter les fantasmes plus ou moins refoulés du personnage féminin principal.
Enfin, que serait le giallo sans sa musique ? Quasi personnage en soi, elle est d'une nécessité vitale pour mettre en exergue le climat si particulier de ce genre. Une musique en inadéquation avec les images et c'est toute la structure du film qui est mise à mal. Heureusement dans Blackaria, la partition musicale et les sonorités rendent justice à l'ensemble. Composée par le groupe Double Dragon, elle est une sorte de compromis entre les partitions électros des Goblin, de Fabio Frizzi auxquelles aurait été ajoutée une touche de modernité bienvenue. Et s'il y a pire comme référence, cela n'en reste pas moins une belle réussite, surtout qu'elle s'adapte très souvent avec harmonie à ce que l'on peut voir à l'écran.
Original, indépendant, cohérent, respectueux des codes et fait avec beaucoup de sincérité et de talent, Blackaria fera à n'en pas douter le bonheur des fans de gialli et pourquoi pas des autres ? Que les dieux qui règnent dans les hautes sphères de l'édition et de la distribution de films daignent jeter un œil à Blackaria. Il le mérite bien plus que beaucoup de films de genre qui sortent dans les salles.
Titre français : Blackaria
Titre original : Blackaria
Réalisateur : François Gaillard, Christophe Robin
Scénariste : François Gaillard, Christophe Robin
Musique : Double Dragon
Année : 2010 / Pays : France
Genre : Giallo / Interdiction : -16 ans
Avec : Clara Vallet, Anna Naigeon, Aurélie Godefroy, Julie Baron, Guillaume Beylard...