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BLACK SWAN (2010)



L'HISTOIRE :Danseuse au New York Ballet, Nina Meyers tient la chance de sa vie lorsque le casting pour une représentation du Lac des Cygnes ouvre ses portes. Pourtant, ses essais ne renversent pas Thomas Leroy, le metteur en scène du ballet : celui-ci choisit de faire incarner le cygne blanc et le cygne noir de l'histoire par la même personne, obligeant la danseuse visée à livrer une performance bien plus complexe. Nina obtient pourtant le rôle le jour où Thomas perçoit une rage insoupçonnée chez elle ; mais la jeune fille voit très vite sa vie se métamorphoser dès les premières répétitions...


MON AVIS : Pas de doute, Aronofsky est devenu définitivement un auteur hype, ses objets filmiques entraînant à la fois flops et engouements sur leurs passages : du paradoxe, et du bruit, beaucoup de bruit, comme on peut le constater à la suite de la sortie de Black Swan dont le passage sur grand écran laisse une traînée de plumes noires étincelantes. Vu l'antécédent surestimé et pompeux qui le précède, l'effet Aronofsky titille malgré tout la curiosité.

Ce dont l'on parle le plus, outre la performance de Natalie Portman, c'est la cascade de références qui nourrissent, irriguent (voire desservent légèrement) le film : du cadre évoquant tour à tour Argento et Michael Powell, en passant par des allusions concrètes à De Palma (Phantom of the Paradise et Carrie au Bal du Diable, entre autres), du trouble schizophrène hérité de Perfect Blue et de Polanski à la danse d'introduction renvoyant à celle de Legend, jusqu'au souffre de Verhoeven et l'approche organique à la Cronenberg, on frôle parfois le quizz cinéphile. Plus rassurant : tous ses clins d'œil et ses références n'empêchent jamais au film d'avoir une âme propre, que certains rapporteront (décidément !) comme la rencontre entre le tourbillon Requiem for a Dream et le parcours déchu de The Wrestler.

Ce qui est le plus visible n'est pourtant pas le plus troublant : Jennifer Connely (curieux hasard) était frappée elle aussi d'une malédiction en jouant dans le ballet du Lac des Cygnes dans le méconnu (et très ennuyeux) Étoile de Peter Del Monte.

On imagine la danse comme glamour, Black Swan se l'approprie comme une torture gracieuse, une épopée extatique, et la décrit comme un milieu fermé et cruel (l'ex starlette incarnée – ironie ? - par Winona Ryder, s'enfonçant dans l'ombre). Le savoir-faire d'Aronofsky et son goût pour les mises en scènes viscérales (image proche du documentaire, caméra près des corps) sert à merveille ce parcours d'étoile martyr et de petite fille en décomposition ; de jouer avec la jeunesse quasi virginale de Natalie Portman était une idée à s'approprier, et une manière salvatrice de crever définitivement l'écran pour la jeune actrice.

Dans une toile cinématographique fan du twist à gogo, Black Swan suit sa voie et résume ses enjeux dans la légende même qui compose Le lac des cygnes : pour incarner le cygne noir et le cygne blanc, Nina devra aller loin, très loin, et même jusqu'à la mort pour épouser son personnage et voler de ses propres ailes (au sens figuré comme au propre, pour le coup...). La petite fille (chambre d'enfant, vie privée à néant, image de la mère omniprésente et envahissante) devra devenir femme, et bien plus encore. Il ne s'agit plus d'un simple rôle à accomplir ou de quelques entrechats, mais d'une quête absolue visant la perfection et la transcendance du corps et de l'âme.

Aronofsky joue sur les tableaux anxiogènes, de l'appartement hanté par le figure maternelle (une Barbara Hersey dont le lifting monstrueux la rend encore plus inquiétante) aux planches où l'on sue sang et eau, le tout supervisé par un Vincent Cassel un brin vicelard. Et il y a aussi Lily, la furieuse, la brûlante, la rivale... ou l'amie, que Nina perçoit aussi bien comme le danger que comme un fantasme. De cette fascination trouble pour la figure masculine (Thomas) et la figure féminine (Lily), Aronofsky gère habilement les rapprochements, les doutes et les tensions érotiques multiples.

On le savait capable de filmer la misère et la dégradation physique, il n'y a rien donc rien d'étonnant à ce que Black Swan fonctionne de ce côté là, filmant un chemin de croix avec tout ce qu'il faut de viscéral, de l'horreur au compte-goutte aux transformations physiques parfois digne de La Mouche. Le ballet final prend inévitablement à la gorge, de libération en apocalypse intérieur, jusqu'à un plan séquence qui commence déjà à hanter les esprits. Le tout très bien épaulé par un Clint Mansell au sommet, revitalisant une musique ultra rebattue. Une sacré symphonie pour une sacré expérience.


Titre français : Black Swan
Titre original : Black Swan
Réalisateur : Darren Aronofsky
Scénariste : Mark Heyman, Andres Heinz, John J. McLaughlin
Musique Clint Mansell
Année : 2010 / Pays : Usa
Genre : Drame horrifique / Interdiction : -12 ans
Avec : Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel, Barbara Hershey, 
Winona Ryder, Benjamin Millepied...





Jérémie MARCHETTI

L'AUTRE (1972)

 

Titre français : L'Autre
Titre original : The Other
Réalisateur : Robert Mulligan
Scénariste : Tom Tryon
Musique : Jerry Goldsmith
Année : 1972
Pays : Usa
Genre : Drame horrifique
Interdiction : -12 ans
Avec Uta Hagen, Diana Muldaur, Chris Udvarnoky, Martin Udvarnoky, Norma Connolly...


L'HISTOIRE : Élevés par leur grand-mère Ada, les jumeaux Niles and Holland Perry vivent paisiblement dans une ferme du Connecticut. Mais, un beau jour, des événements étranges et tragiques commencent à se produire. Tout laisse à penser que l'un des deux frères a quelque chose de diabolique en lui...


MON AVIS : [Attention aux spoilers - à ne lire qu'après avoir vu le film]


Adaptation du roman Le Visage de l'Autre de Tom Tryon, qui rédigea également le scénario du film, L'Autre du réalisateur Robert Mulligan (Du Silence et des Ombres, Daisy Clover, Un été 42...) est un film magnifique et mélancolique, qui mérite d'être découvert par le plus grand nombre tant ses qualités sont nombreuses. 

Film sur l'enfance et la difficulté de faire face au deuil avant tout, L'Autre est souvent classé dans la catégorie fantastique alors qu'en réalité, on est bien plus dans un drame réaliste, avec un enfant totalement schizophrénique et névrotique, qui ne réussit pas à admettre la mort de son frère jumeau et qui va continuer à le faire vivre dans un monde fantasmé, ou du moins, dans SON monde fantasmé. L'aspect fantastique est néanmoins présent à travers le jeu que Ada, la grand-mère, a apprit à Niles : particulièrement sensible, le petit garçon parvient à pénétrer l'esprit d'un animal ou d'un être humain et à ressentir la vie de ce dernier, comme lors de la séquence dans laquelle Niles voit à travers les yeux d'une corneille dont il a investit l'esprit. Un jeu apparemment sans danger, imaginé par Ada pour permettre justement à Niles de faire plus facilement son deuil mais qui, pour le garçon, va avoir des conséquences catastrophiques sur son propre esprit, ne différenciant plus la réalité de son monde imaginaire. 

La grande force du film est d'ailleurs d'adopter durant 100 minutes le point de vu de Niles Perry, superbement interprété par Chris Udvarnoky, qui donne la réplique à son propre frère jumeau, Martin Udvarnoky, qui, lui, interprète Holland Perry. Le montage et la mise en scène sont également des points forts de L'Autre puisque Robert Mulligan a choisi de ne jamais montrer les deux jumeaux ensemble dans un même plan. Cet effet de style apporte une touche insolite à cette oeuvre singulière et place le spectateur dans un questionnement incessant sur la nature même de la relation entre les deux frères. 

Si on comprend rapidement que la personnalité la plus forte est celle d'Holland Perry, si on comprend que ce dernier semble être mauvais puisque c'est lui qui commet les actions qui vont se révéler dramatiques pour les autres personnages du film, on ne peut qu'éprouver de l'empathie pour Niles Perry, qui semble désemparé face aux agissements de son frère. Plus le film avance, plus on sent que quelque chose cloche dans tout ça ; bien sûr, si vous êtes fans de cinéma de genre, vous ne mettrez pas longtemps avant de deviner l'une des pirouettes scénaristiques de l'histoire, pirouette qui relevait du jamais vu à l'époque et qui a influencé bon nombre de films par la suite, comme, et ce n'est sûrement pas un hasard, Les Autres d'Alejandro Amenábar. Un procédé qui n'a d'ailleurs pas convaincu les critiques de l'époque, qui ont reproché à Mulligan de les avoir manipulé. 

C'est pourtant bien ce procédé qui fait de L'Autre un pur chef-d'oeuvre d'ambiance et d'atmosphère, qui emprunte parfois au cinéma d'épouvante gothique (la mère qui reste cloîtrée dans sa chambre, la grange qui semble renfermer des secrets inavouables...). Pourtant, on sent que le propos de Mulligan n'est pas de mettre en avant ce twist, qui intervient d'ailleurs à mi-parcours et non à la fin du film.Ce qui l'intéresse avant tout, c'est de faire de L'Autre un film totalement subjectif, avec une caméra qui suit continuellement, et au plus près, Niles Perry, de montrer la dualité qui réside dans ce personnage ambiguë. 

Les drames qui vont avoir lieu successivement vont faire naître une vraie tension morbide à l'écran, plongeant le film dans une horreur rurale qui met de plus en plus mal à l'aise, atteignant son paroxysme lors d'un final réellement dramatique et dont l'ultime image fait froid dans le dos. Sans jamais cherché à faire du sensationnalisme, avec un rythme languissant, très peu énergique, L'Autre vous embarque dans ce drame sensible et finement ciselé avec ses arguments imparables, subtils et son ambiance fataliste. Une pure réussite.




Stéphane ERBISTI

ANTEBELLUM (2020)

 

Titre français : Antebellum
Titre original : Antebellum
Réalisateur : Gerard Bush, Christopher Renz
Scénariste : Gerard Bush, Christopher Renz
Musique : Roman GianArthur Irvin, Nate 'Rocket' Wonder
Année : 2020
Pays : Usa
Genre : Drame horrifique
Interdiction : -12 ans
Avec : Janelle Monáe, Eric Lange, Jena Malone, Jack Huston, Robert Aramayo...


L'HISTOIRE : Au temps de la guerre de Sécession. Une garnison sudiste a élu refuge dans une plantation de coton. Les soldats maltraitent les noirs, véritables esclaves n'ayant pour seul droit que celui d'obéir à l'homme blanc sous peine de sévices voire de mort. Parmi ces esclaves se trouve Eden, une jeune femme qui a déjà tenté de s'échapper et qui vit dans la maison du général sudiste. A notre époque, la romancière noire Veronica Henley, qui a publié divers ouvrages sur la condition des noires dans l'Amérique et milite pour une reconnaissance du peuple noir en tant qu'égal du peuple blanc, fait de fréquents cauchemars dans lesquels elle se retrouve dans ce monde effroyable en tant qu'Eden. Un monde dont elle doit percer les mystères avant qu'il ne soit trop tard...


MON AVISTiens, un nouveau film de Jordan Peele ? Ah non. Pourtant, ça aurait clairement pu être lui le réalisateur d'Antebellum, film qui se rapproche de Get Out ou de Us dans sa thématique et l'emploi d'acteurs noirs en tant que vedettes principales et qui réserve également au public un twist scénaristique en fin de parcours. Les films à twist, j'aime beaucoup ça car je ne les trouve jamais et je me fais toujours avoir. Pas la. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai deviné le twist d'Antebellum. Pourtant, les deux réalisateurs / scénaristes, Gerard Bush et Christopher Renz, même s'ils ont disséminés des tas d'indices tout au long de la progression de l'histoire, ont bien bossé pour nous la cacher cette vérité, cette pirouette scénaristique et pour nous induire en erreur.

La première partie du film, se déroulant dans une plantation de coton en terre sudiste durant la guerre de Sécession, est très travaillée et particulièrement maîtrisée, nous présentant la face sombre de l'homme blanc, se croyant supérieur à l'homme noir, qu'il traite comme un vulgaire bout de viande. Le racisme, la haine du noir, est bien mis en avant ici, et le sort réservé aux rebelles n'est guère enviable. Certes, on n'échappe pas au côté manichéen puisque dans cette garnison sudiste, aucun blanc n'est bon. Qu'il soit Général ou simple soldat, les blancs sont des ordures prenant un malin plaisir à humilier, violenter, frapper, fouetter les noirs, qu'ils soient homme ou femme. Cette partie nous permet également de faire connaissance avec Eden, une jeune femme noir qui a tenté de s'échapper mais qui a été rattrapé. On s'attend à ce qu'Antebellum en fasse son personnage principal lorsque, sans prévenir, l'histoire bifurque à notre époque, où l'actrice Janelle Monáe, qui joue Eden, interprète un nouveau personnage, celui de Veronica Henley, autrice politisée qui lutte pour le droit des noirs en Amérique, principalement celui des femmes, contre le suprématisme blanc et la racisme ordinaire.

La juxtaposition d'image lors de cette transition d'époque assez abrupte nous mène à penser qu'Antebellum va nous la jouer fantôme du passé qui revient hanter l'héroïne ou personnalité réincarnée dans un nouveau corps (Eden dans Veronica donc) par exemple. Tout comme Veronica, victime de cauchemars mettant en scène Eden, le spectateur va devoir se creuser les méninges pour comprendre les rouages et les mécanismes du scénario tortueux du duo Gerard Bush / Christopher Renz et deviner là où ils veulent nous emmener. Un scénario assez malin et une idée astucieuse en fait. Sauf que cette fois, une fois l'histoire revenue au présent (et devenant par là même moins intéressante, avec ce restaurant entre copines qui s'éternisent entre autres), mon esprit a deviné le pot-aux-roses, que je ne vous dévoilerai pas bien sûr. Je vous rassure, deviner le twist ne gâche pas vraiment le film, qui est d'ailleurs plus un drame teinté de thriller qu'un film d'épouvante ou d'horreur, comme il nous a été vendu.

On peut même le classer dans les films politiques puisqu'il dénonce, comme déjà dit, le racisme toujours bien présent parmi une bonne frange de la population américaine, entre autres. L'idée même du film fait d'ailleurs froid dans le dos et pourrait se retrouver dans la rubrique faits divers malheureusement. Avec une belle mise en scène, des plans léchés et travaillés, une violence qui met souvent mal à l'aise et qui nous rappelle certaines séquences de Django Unchained, ce premier film de Gerard Bush / Christopher Renz se montre original sans toutefois être parfait. La partie du film se déroulant à notre époque peut apparaître parfois ennuyeuse même si elle est nécessaire pour amplifier la thématique du film. A noter une bonne interprétation de la charmante Jena Malone, qu'on se plaît à détester dans la peau de son personnage qui n'est malheureusement pas assez exploité à mon avis.




Stéphane ERBISTI

THE AMUSEMENT PARK (1973)

 

Titre français : The Amusement Park
Titre original : The Amusement Park
Réalisateur : George A. Romero
Scénariste Wally Cook
Musique : Phil Mahoney
Année : 1973
Pays : Usa
Genre : Insolite, drame horrifique
Interdiction : /
Avec Lincoln Maazel, Harry Albacker, Phyllis Casterwiler, Pete Chovan, Marion Cook...


L'HISTOIRE : Alors qu'il pense passer une journée paisible et ordinaire, un vieil homme se rend dans un parc d'attractions pour y découvrir un véritable cauchemar...


MON AVISLorsqu'il y a presque 50 ans, l'Eglise Luthérienne commande à George A. Romero un film destiné à alerter sur les conditions de vie des personnes âgées dans le pays, afin d'attirer les bénévoles, ils ne s'attendaient certainement pas à voir le réalisateur de La Nuit des Morts Vivants leur livrer une oeuvre aussi politique qu'expérimentale. Le film, tourné en 1973, ne fut par conséquent pas exploité, et oublié jusqu'en 2018, où une copie fut retrouvée, restaurée, et enfin exploitée en salles. Le résultat risque d'en déstabiliser plus d'un, mais il s'inscrit parfaitement dans la filmographie de Romero et résonne de façon troublante avec l'actualité.

Car le réalisateur va nous plonger, aux côtés de son vieillard (Lincoln Maazel, seul comédien professionnel du film, que l'on retrouvera dans Martin), dans un parc d'attraction cauchemardesque où rien ne sera épargné aux plus âgés. Ostracisés (surtout si, en plus d'être âgés, ils sont pauvres et / ou noirs), infantilisés, volés, exploités, violentés, ridiculisés, oubliés plus ou moins volontairement, sans soins adaptés... Romero use à merveille de son talent pour la métaphore et de son humour noir pour nous faire saisir l'horreur du traitement réservé aux anciens, dans toute sa banalité, son cynisme et son caractère inéluctable. Comme il le rappelle (de façon, il faut bien l'avouer, un peu lourde) lors de son introduction et de sa conclusion, la vieillesse n'est finalement que l'avenir, plus ou moins éloigné, des spectateurs, et une séance de divination indiquera sans ambiguïté que ce destin est celui qui nous attend tous, dans l'indifférence ou l'hostilité des plus jeunes. Un destin sur lequel plane constamment l'ombre de la mort, mais aussi de la démence.

Au-delà du message sous-jacent, le réalisateur parvient à faire naître une ambiance particulièrement anxiogène en nous plongeant au cœur de ce parc d'attraction. Cacophonie permanente, promiscuité inquiétante, le personnage principal et le spectateur sont harcelés en permanence par des parasites. A l'image de ce qu'il sublimera quelques années plus tard dans Zombie, Romero utilise un lieu unique (le parc d'attractions préfigure le centre commercial) et le pervertit pour symboliser son pays et ses dérives, chaque attraction illustrant les différentes dérives. On ne s'étonnera pas non plus de voir que le film date de 1973, année où sortiront également Season of the Witch ou La Nuit des Fous Vivants, deux films tout aussi politiques sur les dérives de la société américaine - mais pas seulement. Là encore, entre la place de la femme d'un côté et les errances gouvernementales de l'autre, l'écho avec l'actualité est troublant.

Romero parvient donc à faire d'une oeuvre de commande un film assez terrifiant, faisant naître un réel malaise chez le spectateur qu'il plonge peu à peu dans un véritable cauchemar qu'il ne semble que pouvoir répéter indéfiniment. Un cauchemar qui démontre une nouvelle fois le talent du réalisateur pour mettre en images les dérives les plus cruelles de la société, dérives qui sont encore aujourd'hui particulièrement présentes : il suffit d'observer le traitement réservé aux plus âgés dans certaines maisons de retraites ou pendant la pandémie de Covid-19. Un cauchemar que l'on conseillera surtout aux fans purs et durs du réalisateurs. Les autres risquent, comme les commanditaires du film en 1973, de vite vouloir oublier ce trip aussi expérimental qu'intelligent auquel ils n'étaient pas préparés.




Steeve RAOULT

2LDK (2002)


Titre français : 2LDK
Titre original : 2LDK
Réalisateur : Yukihiko Tsutsumi
Scénariste : Yukihiko Tsutsumi, Miura Uiko
Musique : Nobuyuki Ito
Année : 2002
Pays : Japon
Genre : Drame horrifique
Interdiction : -12 ans
Avec : Maho Nonami, Eiko Koike...


L'HISTOIRE : Lana et Nozomi partagent le même appartement à Tokyo et rêvent toutes deux d’être actrices. Alors que les deux jeunes femmes viennent de passer la même audition pour un rôle dans un film, Lana apprend que le réalisateur du long-métrage en question a contacté le directeur d’agence pour lui dire que l’une d’entre elles serait choisie pour ce rôle tant convoité ! Très vite, la tension va s’installer dans ce bel appartement luxueux où jalousie et haine vont se mêler pour donner lieu à des scènes violentes imprévisibles entre les deux jeunes femmes…


MON AVISAlors qu’ils avaient rendu leurs courts-métrages en un temps record pour le projet Jam Films en 2002, le producteur Shinya Kawai proposa cette même année à Ryuhei Kitamura (Versus, Azumi, Midnight Meat Train…) et à Yukihiko Tsutsumi (un réalisateur de films et de séries télé réputé pour être un touche-à-tout inépuisable au pays du soleil levant) le projet DuelUn défi à cinq objectifs s’offrait alors aux deux cinéastes : réaliser un film avec un budget minimaliste ; en une semaine maximum ; dont l’action doit se dérouler dans un lieu unique ; avec deux personnages seulement ; dont au moins un doit mourir.

C’est dans ce contexte si particulier que Ryuhei Kitamura réalisa Aragami tandis que Yukihiko Tsutsumi donna naissance à 2LDK, le film qui nous intéresse ici.

Quel titre bizarre diront certain(e)s. Oui, moi-même je me suis documenté rapidement sur le sujet pour comprendre la signification de ce titre peu commun. Pour faire simple, il faut savoir qu’au Japon les appartements sont classés généralement en trois catégories : 1DK (une chambre, une salle à manger « Dining » et une cuisine « Kitchen »), 2DK (2 chambres, une salle à manger et une cuisine) et enfin 1LDK (une chambre, un salon « Living », une salle à manger et une cuisine). Vous aurez donc aisément compris que Yukihiko Tsutsumi a choisi comme lieu unique pour son film un luxueux appartement japonais catégorisé 2LDK.

La minute intellectuelle étant passée, intéressons-nous à présent un peu plus à ce fameux 2LDK. Déjà, une chose est sûre : le film de l’ami Yukihiko Tsutsumi ne plaira pas à tout le monde, la narration très lente de la première partie - un style si caractéristique du cinéma asiatique qui malheureusement ne fait pas l’unanimité au sein du public occidental - pouvant déstabiliser plus d’une personne.

Une première partie dans laquelle nous faisons connaissance avec nos deux protagonistes, deux jeunes femmes vivant dans un même appartement et que tout semble opposer. Alors que Lana est fêtarde, belle, séductrice et n’hésite pas à dépenser des sommes folles dans des fringues et accessoires quelque peu luxueux, Nozomi est tout le contraire. Réservée, un brin intellectuelle, ordonnée (pour ne pas dire maniaque), la jolie provinciale issue d’une famille guère riche (on apprend qu’elle est originaire d’une île peu connue des gens de la ville) manque de confiance en soi mais tente de s’accrocher à tout ce qui se présente à elle.

Aux premiers abords, on pourrait se dire que les deux femmes peuvent se compléter de par leurs différences et ainsi vivre en harmonie, l’une (Nozomi) pouvant apporter une certaine organisation, une sérénité et une stabilité (pour ne pas dire maturité) dans cette cohabitation à deux tandis que l’autre (Lana) pourrait permettre à sa colocataire de s’émanciper, de se délivrer de sa carapace et de se familiariser à ce monde urbain auquel elle n’est manifestement pas habituée.

Hé bien non, très vite des pointes de jalousie et d’agacement (Lana la princesse aux attitudes puériles et comportements vexatoires / Nozomi la petite intello trop maniaque qui s’énerve pour un rien) commencent à se manifester au sein de ce luxueux appartement (une voix off nous distille avec une bonne pincée d’humour des pensées méchantes et moqueuses allant à l’encontre des jeunes femmes) qui va rapidement devenir un vrai champs de bataille.

Les premières petites gifles échangées entre les deux femmes vont en effet laisser place à des scènes de bagarres violentes durant lesquelles roulades au sol, coups de poings et hurlements sont au rendez-vous. Jet d’eau bouillante, maniements de tronçonneuse et de katana, tentatives d’homicide par noyade ou électrocution... Cette sévère et violente altercation bascule vite dans l’absurde et l’exagération mais qu’importe : Yukihiko Tsutsumi semble par-dessus tout vouloir nous dépeindre ici une critique de la vie sociale au Japon. La peur de l’échec social (on vit pour travailler et non le contraire), la peur de décevoir la famille (Nozomi) : chacune des protagonistes ferait n’importe quoi pour avoir ce rôle dans le film.

Adultères, promotions canapé, envie, luxure... Aucune des deux jeunes femmes n’est épargnée ici. Le réalisateur ne cache pas non plus dans son interview donnée lors de la promotion de son film avoir voulu montrer dans 2LDK la bêtise et la crétinerie des japonais, comme lors de cette séquence où Nozomi énumère les marques des vêtements et accessoires portés par Lana ainsi que les prix de chaque article. Cette scène montre cette sorte de fétichisme des marques et ce côté très matériel qu’entretiennent de nombreux japonais. Nos deux jeunes femmes n’hésitent d’ailleurs pas à se mutiler dans leur altercation très physique, au risque de ne plus être retenues pour le film pour lequel elles postulaient au départ.

Alors certes, ce virage radical qu’a pris le film en nous plongeant soudainement dans une confrontation des plus musclées est totalement disproportionné et casse indéniablement le réalisme du film mais pour autant voir tant de crétinerie et de violence entre ces deux femmes s’avère parfois bien jouissif reconnaissons-le toutefois. Un beau mélange de violence et d’humour qui nous renvoie directement à l’essence même de nombreux mangas dixit Yukihiko Tsutsumi, auquel son film peut se rattacher.

Dommage que certaines séquences de bagarre soient si perfectibles (des ralentis maladroits, des altercations qui auraient parfois pu s’avérer encore plus dingues) et que le final soit si prévisible (un côté moraliste simpliste et déjà-vu qui ne surprendra pas grand monde)...

Au final, 2LDK est un honnête film usant d’un esprit tragi-comique pour nous amener dans une altercation totalement décalée et ultra-violente entre deux femmes prêtes à tout pour décrocher un contrat. Exagéré, parfois absurde et maladroit, le film de Yukihiko Tsutsumi ne parviendra peut-être pas à obtenir l’adhésion de toutes et tous mais a au moins le mérite de nous avoir fait vivre un grand moment de folie comme le souhaitait son réalisateur.




David MAURICE