Titre français : Antichrist
Titre original : Antichrist
Réalisateur : Lars Von Trier
Scénariste : Lars Von Trier
Musique : Kristian Eidnes Andersen
Année : 2009
Pays : Danemark, Allemagne, France
Genre : Insolite
Interdiction : -16 ans
Avec : Charlotte Gainsbourg, Willem Dafoe, Storm Acheche Sahlstrøm...
L'HISTOIRE : Un couple venant de perdre leur enfant traverse une crise. La femme, extrêmement fragilisée, est suivie de près par son mari, psychologue de profession. Pour l'aider à surmonter cette douloureuse épreuve, il l'emmène à Eden, une cabane en pleine forêt où ils avaient l'habitude de se réfugier. Or cette immersion dans la nature a des conséquences inattendues sur les deux individus...
MON AVIS :
- Le film s'enfonce vite dans la répétition (...), le grotesque (...), le morbide (...), l'abscons. Positif
- Le fruit monstrueux d'un grand cinéaste, plongé en pleine nuit. La Croix
- Esthétisme de pub pour eau de toilette et à la provoc imbécile Télérama
- Nous divorçons de Lars Von Trier. Nous refusons le bouillonnement délétère de ce chaudron de sorcier autoproclamé (...) Marianne
- Primée à Cannes, Charlotte Gainsbourg manie bien la pelle et la chignole dans ce thriller érotico-horrifique, comique malgré lui. Le Figaro
Mais qu'est ce qui a bien pu choquer à ce point les derniers festivaliers Cannois et la majorité de la critique dite sérieuse pour que cet Antichrist suscite une telle polémique ? Pourquoi l'un des rejetons d'un des chouchou de la Croisette, dont la plupart des films ont fait partie de la sélection officielle et souvent avec succès (Grand Prix Technique de la Commission Supérieure Technique pour Element of Crime, Prix du jury et Grand Prix de la Commission Supérieure Technique pour Europa, Grand prix du jury pour Breaking the Waves, Palme d'or pour Dancer in the Dark) a-t-il provoqué un tel rejet, confinant parfois à la haine ?
Car à bien y regarder, le dernier métrage en date du petit génie danois Lars von Trier ne se départit que bien peu du reste de son oeuvre. Ni plus (ni moins !) dur, cynique, pessimiste, osé, faussement misogyne, noir ou révoltant que la quasi totalité de sa filmographie.
Que l'on songe à, par exemple Breaking the waves, Europa, Manderlay, Dancer in the dark ou Dogville, pour constater la constance avec laquelle le direktor venu du froid traite et rend compte de l'âme humaine et de ses multiples travers, de sa part d'ombre et sa froideur. Donnant une image du monde au travers du filtre de ses névroses (nombreuses), Lars Von Trier scrute le côté obscur de l'homme et surtout de la femme.
Si Antichrist donne en revanche souvent l'impression d'une volonté totale et volontaire d'agresser le spectateur, que ce soit dans un nombre significatif de scènes visuellement horrifiques et dans une fausse misogynie encore plus prononcée qu'à l'habitude, celle-ci prenant des proportions sacrés et bibliques, il n'en demeure pas moins que s'arrêter à cela pour juger et lyncher un tel film reste d'une rare bêtise. Quoi qu'il en soit, Antichrist est un film marquant - par acceptation du propos ou rejet de celui-ci - on ne sort pas indemne de sa vision.
Bien que ce ne soit pas le premier film à connotation fantastique de Lars Von Trier, c'est celui qui se rapproche le plus de ce que l'on entend généralement lorsque l'on utilise ce terme (Element of Crime, Epidemic, Europa et même Breaking the Waves flirtant plus ou moins avec ce genre, sans omettre la série télévisuelle L'hôpital et ses fantômes qui, elle, est intrinsèquement fantastique). Mettant fin (momentanément ?) à ses essais de mise en scène antérieurs (Dogme, minimalisme des décors, Automavision...), le réalisateur revient à un formalisme plus classique, ce qui ne l'empêche pas de livrer un film d'une immense beauté plastique et de continuer à utiliser la technologie pour l'insérer à son propos (caméra à 1000 images par seconde, mouvement à l'épaule puis stabilisation du cadre).
Le prologue donne le ton. Somptueux et provocant, filmé dans un noir et blanc épuré et au ralenti, nanti d'une musique classique : Lascia ch'io pianga (Rinaldo) d'Haendel, il se veut en quelque sorte le pêché originel de ce qui va suivre. Un couple fait l'amour (insert d'un gros plan de pénétration, histoire de montrer la passion qui attire les deux êtres) avec fougue pendant que leur petit enfant s'approche dangereusement du bord de la fenêtre. Alors qu'ils atteignent l'orgasme, ce dernier tombe dans la neige plusieurs étages en dessous. Choquant, émouvant et formellement réussi, ce prologue confère d'entrée de jeu une note biblique à Antichrist, tel un 11ème commandement apocryphe et qui annoncerait : Tu ne forniqueras pas comme une bête en laissant ton enfant sans surveillance. Antichrist va dés lors se découper en chapitres, comme souvent chez le réalisateur : le deuil, douleur (le chaos règne), désespoir (gynocide), les trois mendiants, Épilogue.
Chaque chapitre étant une étape supplémentaire vers la folie des deux protagonistes et en particulier de la femme. Les deux personnages tentant de se reconstruire après la perte de leur enfant unique par une thérapie externe et interne. Alors que le fantastique et la folie sont déjà là, au travers de quelques plans, ils s'envolent vers Eden, leur chalet perdu dans une sinistre forêt afin d'y approfondir une analyse psychanalytique basée sur l'acceptation de la peur... Mais à trop jouer avec l'esprit, le chaos va arriver et il va être brutal, violent, sans concession si ce n'est la folie furieuse.
Donner un sens aux visions oniriques et cauchemardesques issues du cerveau du réalisateur danois n'est pas chose aisée, mais à l'instar d'un film cryptique façon David Lynch dernière génération, on peut toujours donner quelques pistes. Celles-ci valent ce que vaut la compréhension du chroniqueur et ne doivent en rien être prises comme vérités absolues. Le long-métrage étant beaucoup trop riche pour cela.
Antichrist conte l'histoire de la plus terrible des culpabilités, de celle qui peut vous faire sombrer dans la dépression ou dans la folie. Quelle plus terrible épreuve pour un parent normalement constitué que la perte d'un enfant ? D'autant plus lorsque celle-ci est totalement imputable à une absence de surveillance ? Encore plus lorsque cette absence de surveillance est dû à un rapport sexuel ? Qui pourrait s'en remettre ? Comment continuer à vivre après cela ?
Deux attitudes diamétralement opposés vont se faire face. L'homme, tout d'abord, froid, distant, refusant de se laisser aller au moindre sentiment, va sembler s'en remettre à son intellect et reporter sa peine sur sa compagne en en faisant son cobaye. Présenté comme un psychanalyste, il impose son traitement de choix à cette dernière, basé sur une non-médication et une acceptation de la peur, du chagrin et du deuil. Il domine totalement le couple par son arrogance et sa pseudo supériorité intellectuelle.
La femme, submergée par le chagrin, se laisse faire, elle accepte la thérapie, mais elle ne semble pas avoir la force de faire autrement. La culpabilité de la mort de l'enfant écrase le personnage féminin, alors qu'il renforce la mainmise du personnage masculin sur le couple. Mais cela va changer dés lors qu'ils vont atterrir à Eden, le petit chalet perdu au milieu de la nature hostile.
La présence de la nature la plus vierge va inverser les rôles. La femme prendra petit à petit et irrémédiablement le dessus sur son compagnon, jusqu'à l'excès et la folie. La femme a, pendant longtemps, été considérée par de grands esprits comme étant un être totalement inféodé à la nature, incapable de contrôler son corps et donc ses pulsions. La nature étant considérée, elle-même, comme l'église de Satan, il n'y avait qu'un pas à franchir pour assimiler la femme au Diable. De cela découlera les innombrables procès en sorcellerie, notamment aux 16ème et 17ème siècles, où des milliers de femmes furent soumis à la torture et au bûcher.
La culpabilité du personnage que joue Charlotte Gainsbourg va l'amener à faire siennes ces anciennes croyances. Taxer le film de misogynie est donc un grave contresens, Lars von Trier ne représente pas la femme comme un être maléfique par essence, mais comme une malade rendue folle par la perte de son fils et qui va croire qu'elle est dirigée par la nature satanique qui l'entoure. L'esprit soumis à une douleur et un deuil trop intense trouve une échappatoire par ce biais. Dés lors, Antichrist va exposer crûment la démence de la femme, se plaisant à brouiller les pistes par l'intervention du fantastique, de la métaphore sur les trois mendiants représentés par des animaux et par un déchaînement de violence vis a vis de son mari, mais aussi d'elle-même.
Dans Antichrist, la symbolique et les métaphores par l'image sont le fondement même de l'histoire, du rêve cauchemardesque que nous conte le réalisateur. Certains n'y ont vu (et n'y verront) probablement qu'une manière pompeuse, ennuyeuse et pseudo-intellectuelle de présenter les choses. Un reproche facile qui pourrait masquer une absence de sensibilité ou un refus de se confronter à ses peurs via un long-métrage qui ne refuse pas de rentrer de plain-pied dans le film de genre, avec intelligence qui plus est.
Les 3 mendiants, entités crées par Eden et qui ont la faculté de se présenter sous différentes formes, structurant le film, apparaissant lors de l'accident de l'enfant sous la forme de statues, d'animaux pour le mari (et notamment dans cette incroyable séquence de pure terreur avec le renard qui déclame : le chaos règne) et de constellation pour l'épouse. La légende voulant que si les trois mendiants sont réunis, quelqu'un doit mourir (l'enfant au début, la femme à la fin). La scène d'amour sous l'arbre, l'apparition de corps lors de celle-ci et à la fin du film, représenteraient tous ceux (et en particulier toutes celles) qui au cours des siècles ont dû expier leurs péchés par le prisme du lieu Eden ? L'apparition finale de centaines de femmes venant d'époques différentes lors de l'épilogue, pourrait être vue comme la représentation de toutes les Eve de l'histoire expiant le péché originel
Reste la dernière partie, celle qui fit polémique. Lars Von Trier avait-il réellement besoin d'abreuver le spectateur de séquences gore et trash à un point jamais atteint dans un film dit d'auteur ? Castration, masturbation qui fait jaillir du sang, mutilation et automutilation du clitoris (scène jamais vue ailleurs à ma connaissance), sont montrées sans aucune tentative de hors-champs, de façon frontale.
Antichrist aurait-il été moins prenant et moins réflexif sans elles ? On peut le penser, ces scènes semblant quand même un peu tomber comme un cheveu sur la soupe, avec la volonté évidente de choquer pour choquer.
Néanmoins, le choix de tout montrer ne doit en rien être un repoussoir et encore moins un bon moyen d'abreuver d'insultes le réalisateur. C'est une manière de faire ressentir à l'auditoire toute l'implacable folie dans laquelle les personnages sombrent et la puissance maléfique des lieux. On peut trouver cela discutable, on peut même se cacher les yeux au moment de certaines scènes, mais on peut aussi admirer le courage de les avoir mis en images, la subversion que cela apporte à un cinéma auteurisant trop souvent confiné dans ses certitudes et le ronronnement.
Antichrist est un des très rares longs métrages qui fonctionne à la fois sur un niveau intellectuel et sur un niveau viscéral. Un des rares films où le genre en tant que tel se marie à la vision d'un auteur. Lars von Trier chasse ici sur les terres de Tarkovsky, Bergman ou Lynch avec talents pour les uns, boursouflures et autosuffisance pour les autres.
Lent, hypnotique, angoissant, intelligent, cruel, horrible, réflexif, porté par deux acteurs époustouflants, nanti d'une photo à couper le souffle, protéiforme, dramatique histoire d'amour, expérience sensorielle. Antichrist est un film singulier qui continuera à diviser et probablement à devenir culte (ou pas).
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