J'ACCUSE (1938)

 

Titre français : J'Accuse
Titre original : J'Accuse
Réalisateur : Abel Gance
Scénariste : Abel Gance, Steve Passeur
Musique : Henry Verdun
Année : 1938
Pays : France
Genre : Morts Vivants
Interdiction : /
Avec Victor Francen, Marie Lou, Line Noro, Marcel Delaître, Jean-Max...


L'HISTOIRE Guerre de 14-18 : Jean Diaz est plongé dans l'horreur des tranchées, tenant à ses côtés son ami et rival François Laurin ; celui-ci a en effet épousé la femme dont il était amoureux, Edith. Jean lui fait cependant la promesse qu'il ne profitera au grand jamais de sa mort pour tomber dans les bras d'Edith. Alors que la fin de la guerre approche, une escouade de 12 hommes, dont Jean et François, est envoyée à la mort au Ravin des Dames. Jean en sera l'unique survivant et, après avoir retrouvé une vie normale, il se consacre à la construction d'une armure en verre indestructible. Vingt ans plus tard, profondément pacifiste, il ne tarde pas à voir une nouvelle guerre pointer son nez…


MON AVISVisiblement attaché au genre historique, Abel Gance revient cependant au fantastique en 1931 avec son remarqué (mais inégal) La fin du monde. Puis il signe en 1938 un remake parlant de son J'accuse, datant de 1919 (mais perdu depuis de nombreuses années), changeant quelques éléments par ci par là, tout en gardant une trame quasi-identique : un drame naviguant entre guerre 14-18 et triangle amoureux, débouchant dans un dénouement dans le fantastique le plus pur. Si cette version originale sera réalisée près d'un an après la première guerre, ce remake, lui, est un cri pacifique à l'aube de la seconde guerre mondiale, à l'aube de la montée du fascisme.

Impressionnant (voire dégoûtant) le public de l'époque, J'accuse passera d'une durée de 2h40 à une durée d'1h40 voire parfois d'1h10 !! Il sera même interdit une année durant et reste, aujourd'hui, d'une grande rareté. Gance remodèle son casting, son histoire aussi, mais garde la plupart de ses personnages principaux. Toute une première partie du film se déroule dans l'horreur des tranchées ; les plans les plus spectaculaires viennent très souvent de stock-shots (leur utilisation est systématique mais inévitable…) et Gance glisse une ou deux images poétiques dans ce fracas de bous et d'explosions, comme cette colombe coulant dans une fontaine noircie par de l'eau empoisonnée, avant d'être enterrée par le héros himself.

Traumatisé par la guerre, le pacifique Jean Diaz retourne au bercail, refusant les avances d'une veuve suite à une promesse qu'il fit auparavant sur le chant de bataille. Les années passent et la fille de la veuve, Hélène, attire les convoitises… dont celle de Diaz.

Au fil des mois, Diaz semble perdre la boule, effrayé à l'idée qu'une nouvelle guerre débute. Il aurait pourtant le pouvoir d'arrêter cette guerre imminente après une promesse qu'il aurait fait… aux morts !

Si jusque-là Gance nous offre drame en bonne et due forme, il distille une note de folie baroque lors d'une mémorable scène d'orage plus proche des films fantastique expressionnistes ou d'un film d'horreur de la Universal, que d'un pan de la filmographie de Renoir.

La démence du personnage entre en jeu et une menace quasi-surnaturelle, voire spectrale, semble flotter sur les tombes du cimetière de Verdun. D'ailleurs, pour exprimer folie et hystérie, le grand Victor Francen (qui sera plus tard au générique de La bête aux cinq doigts) s'en sort comme un chef : sobre et dur pendant toute une partie de l'histoire, il éructe, délire et monologue dans toute la seconde. Une interprétation hallucinante et hallucinée.

Le J'accuse du titre n'entretient aucun rapport avec celui de Zola : c'est celui de Diaz, effondré dans un dernier acte de folie. Dans la version initiale, l'accusation visait le militarisme allemand ; ici c'est la nouvelle guerre mondiale qui révolte le personnage.

Nous arrivons enfin au moment de savoir le pourquoi du comment de la place d'un tel film ici : et si je vous disais que la première armée de morts-vivants de l'histoire du septième art était française ?!

Déjà présente dans la version muette, la dernière séquence (fantastique) retrouve une toute nouvelle force ici : après un appel désespéré lancé par Diaz, le temps se détraque, la terreur s'empare du peuple et les tombes du cimetière de Verdun disparaissent, laissant place à des milliers de spectres de soldats, immobilisant une Europe blanche comme un linge.

J'accuse devient un poème lyrique, apocalyptique et fantasmagorique, aboutissant à deux fins différentes : l'une optimiste et l'autre pessimiste. D'un coté, l'Europe proclame la paix suite à ce mouvement post-mortem - chose forcement incohérente puisque la seconde guerre mondiale éclatera peu de temps après -, de l'autre les morts continuent de marcher sur la terre et le pauvre Diaz est brûlé sur le bûcher (radical n'est-ce pas ?). Mise en abîme du film, voire du réalisateur ?

Dommage que pour cette fin, plus sombre et malheureusement plus proche de l'histoire, le réveil des morts soit sensiblement écourté… pour ne pas dire expédié. Quant aux revenants, si les cinéphiles curieux s'attendront à des maquillages primaires et dépassés, il faut savoir que 50 % des zombies visibles à l'écran sont de véritables monstres, c'est-à-dire des gueules cassées, ces vétérans des tranchées défigurés à vie. Et Gance ne se gêne pas pour asséner de nombreux gros plans sur ces visages de cauchemar écorchés, disloqués, boursouflés et livides.

Mégalo, profondément antimilitariste et tristement prophétique, un très grand film à réhabiliter.




Jérémie MARCHETTI

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