8MM (1998)

 

Titre français : 8MM
Titre original : 8MM
Réalisateur : Joel Schumacher
Scénariste : Andrew Kevin Walker
Musique : Mychael Danna
Année : 1998
Pays : Usa
Genre : Thriller
Interdiction : -16 ans
Avec : Nicolas Cage, Joaquim Phoenix, James Gandolfini, Peter Storemare...


L'HISTOIRE : Thomas Welles est un détective privé de Harrisburg, Pennsylvanie. Sa réputation est celle d'un professionnel discret, ne posant ni question embarrassante ni aucune sorte de problème. Un agent de l'ombre efficace, qui fait ce pour quoi on le paie. Cela lui vaut de travailler pour des personnalités haut placées, comme cette femme sénateur pour qui il se rend à Miami photographier un mari volage, avant de revenir lui donner les documents et empocher son chèque. Mais le succès a son revers : Thomas Welles est souvent en déplacement et ne voit que rarement sa femme et sa fille, un bébé qu'il nomme affectueusement Cendrillon. A peine est-il rentré de sa mission que le téléphone sonne, et qu'un rendez-vous lui est fixé pour 19h00. Une richissime veuve l'accueille dans sa somptueuse demeure en compagnie de Mr Longdale, son fondé de pouvoir. Le coffre blindé de son époux s'est révélé contenir une bande 8mm où une adolescente est brutalement assassinée par un homme cagoulé. Mme Christian veut donc savoir s'il s'agit d'une fiction ou d'un véritable snuff. Elle charge Thomas Welles de retrouver ceux qui ont tourné le film, ainsi que la jeune fille, si elle est encore en vie. Thomas Welles accepte. Une enquête difficile et sordide commence, qui va l'emmener dans les bas-fonds de l'industrie pornographique hollywoodienne et new-yorkaise, et mettre à mal sa neutralité de détective...


MON AVISLe clergé bien-pensant est sorti furieux de la projection. En ces temps de perte des vraies valeurs et d'individualisme forcené, une unanimité baveuse trouvait une nouvelle fois l'occasion de prendre forme. Et pour cela, rien de tel que de s'acharner sur un artiste et sur son oeuvre. Bien entendu, plus personne ne parlait du film. Plus personne, par exemple, ne semblait savoir que le scénario n'avait pas été écrit par Schumacher, mais par Andrew Kevin Walker, scénariste du très apprécié Seven. Un film où, déjà, le protagoniste était amené à prendre une décision selon une logique qui le dépassait.

Les fruits de cette collaboration ne se limitent d'ailleurs pas au sujet du film. On en retrouve également la marque dans l'esthétique et dans la structure narrative.

En gros, le film est découpé en trois parties, au fil desquelles Thomas Welles va se retrouver de plus en plus seul et prendre de plus en plus d'épaisseur, investi d'une mission qui ne devait pas être la sienne au départ.

Première partie : Harrisburg, où le détective va rencontrer la veuve qui commanditera son enquête, puis Mary Anne Matthews, la mère de la jeune fille assassinée sur le film en 8mm. Rythme lent, montage fluide, cadrages larges qui se resserrent peu à peu. Des couleurs pâles et froides de la vie de Thomas Welles et de la chaleur cossue de la demeure des Christian, on passe progressivement à des environnement sombres, verdâtres et crasseux (le journal de Mary Anne Matthews, caché dans le réservoir des toilettes, annonce clairement qu'un rêve de gosse à tourné au cauchemar).

Deuxième partie : les bas-fonds de Hollywood, où Thomas Welles rencontre le jeune Max California, vendeur dans un sex-shop et lecteur de Truman Capote (auteur du magnifique De Sang Froid, reconstitution réaliste d'un meurtre), et dont il va faire son éclaireur, mais aussi le crapoteux Eddie Poole, bras droit d'un producteur de films pornographiques. Grâce à l'interaction de Nicolas Cage et Joachim Phoenix (tous deux complètement investis dans leur rôle), la mise en scène devient beaucoup plus dynamique, la caméra plus mobile. L'atmosphère s'encrasse, s'enfume, le monde interlope et sordide de la pornographie underground apparaît dur, inquiétant (éclairages rouges, verts, bleus, lumières crues, personnages aux allures tordues), plein de dangers potentiels, l'un des neufs cercles de l'enfer. Cependant le duo permet de maintenir une certaine distance ironique entre lui et le spectateur.

Troisième partie : à New-York, où l'on fera connaissance avec le producteur dément Dino Velvet (excellentissime Peter Storemare, déjà bien frappé dans le Fargo des frères Cohen) ainsi qu'avec son personnage fétiche, Machine ; il s'agit bien sûr de la partie où tout se dénouera dans un déchaînement de violence. New-York apparaît comme le cerveau industrieux, le cœur pourri de Celebrity Production. Une rue où l'on débarque des carcasses de viande, un bureau-aquarium poisseux, des hangars désaffectés, une bicoque près d'un cimetière sous la pluie… Un dépotoir où les affaires s'arrangent à coups d'arbalète, de pistolet, de bistouri, de poignard et d'essence. Le montage est nerveux, percutant, et on enfonce les ongles dans son fauteuil. Tout ça va finir très mal, forcément. Vient enfin un épilogue aussi bref qu'éloquent, nous montrant le résultat de toute cette histoire sur la vie du personnage principal (celui qui y trouve un happy end doit consulter d'urgence un spécialiste).

On le voit, il s'agit d'une structure très équilibrée, très classique, très maîtrisée. Une rareté dans la filmographie de Schumacher, qui vaut largement la peine qu'on s'y penche avec autre chose que de l'hystérie.

Tout repose finalement sur Thomas Welles, et plutôt que de déplorer que Nicolas Cage se soit commis avec l'infâme Schumacher, mieux aurait valu lui décerner un Oscar. A priori rien ne permettait de penser qu'un tel personnage pourrait prendre cette envergure. Habitué à des rôles plus expansifs, l'acteur parvient à composer un rôle de prime abord pâle et effacé, presque obséquieux, dont tout l'art consiste à mentir (je ne fume pas, je suis un agent du FBI, etc…), à omettre des vérités (au centre de recherche, il ne donne pas la véritable raison de son enquête, par exemple) et à présenter le réel d'une manière arrangeante pour son interlocuteur (à cet égard, l'introduction auprès de Mme Christian est un modèle de savoir-vivre). Comme le dira Daniel Lonsdale (Anthony Heald), il a été choisi pour son innocuité, sa médiocrité, pas pour autre chose, et il était impossible de prévoir qu'il allait changer.

Mais c'était sans compter sur Mary Anne Matthews. Que peut bien représenter cette pauvre gamine pour Thomas Welles? La victime d'un horrible meurtre filmé, dont on voit les derniers regards, les dernières secondes de vie. Une adolescente banale qui a cru aux contes de fée hollywoodiens (il y aura une flamme dans mon regard, et tout le monde saura que c'est de l'amour) et qui est donc une version possible de l'avenir de la fille de Welles, surnommée Cendrillon. Et plus que tout, une énorme présence négative, en creux. Il a fallu la retrouver parmi des milliers de visages de filles disparues, scruter les images de la pellicule Supralux, découvrir sa chambre, parler avec sa mère, lire son journal intime, ouvrir sa valise. Une reconstitution progressive qui se fait dans une solitude de plus en plus accrue (les entretiens téléphoniques de Thomas Welles avec sa femme et avec Mme Christian, qui sont des comptes-rendus de l'évolution de la situation adaptés à chacune d'entre elles, se raréfient de plus en plus). Le détective privé, en somme, a ici affaire avec quelqu'un d'encore plus absent que lui, mais d'une absence qui envahit tout. Ce qui lui arrive est le processus inverse d'un deuil : il reconstruit une jeune fille pour trouver ses assassins, mais du coup son meurtre lui devient de plus en plus insupportable.

Et pour finir, voilà que la justice lui est échue. Mme Christian ne veut pas avoir affaire à la police pour ne pas salir la réputation de son défunt mari. La bande 8mm est brûlée par Dino Velvet. Quand Thomas Welles se précipite chez Mme Christian, c'est qu'il espère l'avoir comme dernier témoin de l'affaire, et pouvoir passer par une voie officielle. Mais la fin de non-recevoir est radicale. Comme il le dit à sa femme, lui seul peut terminer le boulot. C'est ça, ou l'impunité des criminels. Or Thomas Welles n'est pas fait pour ça. Comme on l'a vu, il est tout le contraire. Raison pour laquelle il aura recours à tous les subterfuges capables d'augmenter ses émotions, afin de l'emporter sur sa raison et passer aux actes. Etre un justicier n'est pas une solution de facilité, loin de là, et être à la fois juge et partie s’avérera manifestement destructeur pour Welles. N'oublions pas que la peine de mort existe toujours aux USA, et qu'elle aurait été infligée ici aux coupables, si les preuves avaient pu être fournies. La dernière image n'est pas celle d'un homme heureux, et l'on n'entend résonner aucune trompette de victoire.




Stéphane JOLIVET

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