Titre français : L'Armée des 12 Singes
Titre original : Twelve Monkeys
Réalisateur : Terry Gilliam
Scénariste : David Peoples, Janet Peoples
Musique : Paul Buchmaster
Année : 1995
Pays : Usa
Genre : Science-fiction
Interdiction : /
Avec : Bruce Willis, Madeleine Stowe, Brad Pitt, Christopher Plummer...
L'HISTOIRE : 2035. Anéantie par un virus, l'humanité a trouvé refuge sous terre dans un régime carcéral. Après avoir rêvé qu'enfant, il voyait un homme abattu sous ses yeux dans un aéroport, James Cole, matricule 87645, se réveille dans sa cellule de prison, où il purge une peine de 25 ans pour insubordination et autres délits le classant comme antisocial. Désigné comme volontaire, il doit se rendre à la surface contaminée de Philadelphie, où seuls les animaux ont survécu, afin de prélever divers échantillons. Il tombe alors sur un message énigmatique: ON L'A FAIT, assorti d'un sigle représentant 12 singes. Ce vestige pourrait être la marque distinctive de ceux qui, autrefois, ont répandu le virus dévastateur. Satisfait de ses capacités, les scientifiques incitent Cole, en échange d'une remise de peine, à voyager dans le passé afin de retrouver l'origine du fléau. Mais une erreur de manipulation est commise, et James se retrouve en 1990 au lieu de 1996...
MON AVIS : Dès Brazil (1985), l'ex-Monty Python Terry Gilliam nous avait offert une vision futuriste où délire visuel et sens du grotesque se mariaient à un pessimisme noir, sorte de remise à jour déjantée de l'univers kafkaïen. Que restait-il en effet de cet âge d'or des années 70, où humour, amour et liberté tout azimut semblaient pouvoir marcher main dans la main? Plus grand chose à vrai dire, le non-sens ayant échappé aux mains des bouffons géniaux pour réintégrer la poigne de leurs rois sinistres...
Hanté par le spectre menaçant d'un monde totalitaire, mais toujours fidèle à ses idéaux, Terry Gilliam entreprend depuis lors de célébrer de film en film ces individus qui, réputés fous, continuent envers et contre tout à porter une flamme d'espoir et de liberté, et ce jusqu'à cet emblématique Don Quixote, qui, comme un fait exprès, n'aura finalement pu voir le jour. Adoptant une structure en boucle que lui-même cultive systématiquement, La Jetée de Chris Marker, classique court-métrage de 1963, allait alors fournir l'occasion au réalisateur, à travers la réécriture et les développements opérés par David et Janet Peoples, de dresser un nouveau bilan du désastre contemporain, la menace biologique ayant succédé au péril nucléaire.
Parmi les importantes différences qu'on peut dénombrer entre La Jetée et L'armée des 12 Singes, les plus évidentes se situent au niveau formel. Terry Gilliam ne s’appelant pas Gus Van Sant et ne souhaitant ni fournir un simple remake ni un film expérimental, il laisse à Chris Marker la gloire de son superbe montage photographique en noir et blanc, et abandonne bien entendu la voix off qui en guidait la lecture. Combinée à la complexité accrue du scénario, l'approche des événements et leur progressive reconstitution est alors confiée directement aux personnages et aux spectateurs, d'une façon parfaitement traditionnelle.
Au premier visionnage, rares seront pourtant ceux qui n'auront pas été déroutés, ayant l'impression bizarre d'avoir raté un épisode quelque part. Car si les ellipses qui mènent d'une époque à l'autre, quoique discrètes, sont parfaitement lisibles, Gilliam entretient à loisir la confusion en introduisant ironiquement l'erreur dans les voyages temporels et dans l'interprétation des événements, comme par exemple sur les trois premiers quarts du film, la suspicion de folie concernant James Cole, ou encore les étranges ressemblances entre futur et passé : les savants de l'an 2035 faisant écho aux psychiatres, la console IRM au module spatio-temporel, etc...
Il faut aussi souligner le choix très habile du casting principal. A l'époque, Bruce Willis était déjà étiqueté comme héros enquêteur (policier, détective privé ou autre), ce qu'il est de nouveau dans L'armée des 12 Singes, à cela près qu'il y délaisse toute aura triomphante. Simple prisonnier n'ayant guère d'autre choix que d'obtempérer, il est victime (voire martyre) et non justicier. Malgré quelques explosions de violence, il incarnera jusqu'au bout la souffrance et le désemparement, hésitant entre renoncement, pugnacité et servilité. Madeleine Stowe, quant à elle, ayant particulièrement brillé dans le thriller Blink, Gilliam ne se prive pas d'en jouer, donnant plusieurs fois la fausse impression que James Cole pourrait n'être finalement qu'un serial-killer et son histoire de fin du monde, une affabulation pathologique montée de toutes pièces.
Ces éléments ajoutés les uns aux autres contribuent à la déstabilisation générale (on pense au temps hors de ses gonds de William Shakespeare, mais aussi aux spirales de Sueurs Froides auquel le film rend hommage), et s'intègrent parfaitement à la dénonciation gilliamienne, à la fois désinvolte et acerbe, de la science (psychiatrique ou non), qui rime ici avec incompétence et ne cherche en tout temps, semble-t-il, qu'à préserver ses préjugés, au point de rater sa véritable cible et de porter une responsabilité considérable dans le chaos qu'elle était censée conjurer.
Souterrains, grilles, barreaux, ruines, cellules, taudis, crasse, désinfection, emprise psychique, désorientation, incrédulité, folie, prophétie, misère, microbes, mutilation, extermination, voilà, de 2035 au rebours des années 90, le beau portrait de l'humanité que nous peint Terry Gilliam, qui à travers la voix de Kathryn Railly assume totalement son complexe de Cassandre (Il s'agit donc d'une angoisse de l'anticipation doublée de l'impuissance à empêcher le malheur, merci docteur).
Au travers de dominantes bleues, jaunes ambrées (couleurs dont Gilliam partage le goût avec Guillermo Del Toro) ou blafardes, une orgie d'écheveaux métalliques, de craquelures et de détritus mangée de ténèbres s'est mise à proliférer dans des décors baroques et inhumains, déclinés dans des cadres obliques et des mouvements vacillants, où l'esprit ne colle plus au réel que dans un triste constat: rien ne va plus.
Ici c'est le personnage incarné par Brad Pitt, Jeffrey Goines, qui au fil de discours survoltés et de brillants assauts de folie, se charge de porter noir sur blanc l'analyse globale de la tournure qu'a pris le monde. Si on y regarde bien, il ne s'agit de rien d'autre que la réitération des critiques que l'on pouvait entendre dans les mouvements contestataires de la fin des années 60 - mais pourquoi en changer, puisque les choses n'ont fait qu'empirer? Gilliam abat d'ailleurs ici une carte bien amère, faisant peser tout du long l'inquiétude de voir des écologistes verser à leur tout dans l'extrémisme, pour finalement pointer du doigt la nécessité humiliante du compromis et la beauté dérisoire d'un projet...
D'ailleurs, que peut bien vouloir sauver James Cole de ce monde décrépit où il n'arrive qu'à baver, pleurer et saigner ? Un peu d'air pur, deux ou trois airs de jazz témoignant d'une époque révolue (on a rarement vu Bruce Willis dégager autant d'émotion), une farce d'écolos givrés et le baiser d'une femme qui hantait ses rêves, tout comme le héros de La Jetée ne cherchait qu'à retrouver le plaisir simple de l'instant qui passe. Bref, juste de quoi faire d'un homme autre chose qu'un numéro bien dressé. Mais tout cela, peut-être, peut-être, en pure perte...
Maîtrisé de bout en bout, complexe et touffu comme un véritable roman de science-fiction, L'armée des 12 Singes est un grand classique des années 90 (doté, cela dit en passant, d'une musique inoubliable). Et sans doute ne sera-t-il jamais vain d'y retourner, de le revoir, en espérant à chaque fois que nous comprenions encore le sens de son dernier regard d'enfant...
0 comments:
Enregistrer un commentaire